Pass Sanitaire : une voix discordante

Article proposé à la publication sur Rebellyon.info :

Depuis le début du mouvement contre le pass sanitaire on ne compte plus le nombre d’articles incitant à s’y joindre à l’extrême-gauche. Cet article défend l’idée qu’il s’agit d’une grosse erreur d’un point de vue révolutionnaire et propose d’analyser les ressors de cette convergence avec un mouvement fascisant.

Le fait que la question du pass-sanitaire soit débattue à ce qu’on va appeler « l’extrême-gauche » par facilité de langage n’est pas en soi alarmant, ce qui l’est c’est la quasi-unanimité sur ce sujet au point d’en appeler à se joindre à une mobilisation clairement d’extrême-droite. Parmi l’extrême-gauche je désigne à la fois les organisations telles que la CNT, l’UCL, le PRCF, le NPA mais également les médias dits « anti-autoritaires » tels que Rebellyon à Lyon, iaata à Toulouse, paris-lutte.info (en somme la sphère « indymédias »), lundi.am, Contretemps, etc…

Il me semble donc nécessaire non seulement de dénoncer le mouvement en lui-même afin de faire exister une voix discordante mais aussi de dégager quelques pistes de réflexion pour comprendre le marasme idéologique qui permet à l’extrême-gauche de s’y égarer. Je sais très bien que je publie sur un média militant anti-autoritaire, donc je ne vais pas m’attarder à vanter tout ce que nous avons en commun et m’attaquer sans détour à ce qui me semble problématique.

La position de l’autruche ou l’autonomie prolétarienne selon l’extrême-gauche

Dans la plupart des articles les anti-autoritaires prennent les précautions d’usage pour se démarquer des conspirationnistes, appelant même à jeter ceux qui le sont trop explicitement hors des cortèges – sans qu’on sache bien quelles en sont les conséquences réelles. Ils précisent bien, pour la plupart, que le problème n’est pas le vaccin mais la façon dont il est imposé ou l’hypocrisie du gouvernement. Malgré tous ces détours rhétoriques la question est belle est bien celle de la vaccination obligatoire dont le pass permet de contrôler qu’elle est respectée. Il y a donc deux axes permettant de contester cette mesure : l’obligation et l’efficacité du vaccin. Évidemment, à moins de céder complètement à l’ésotérisme anti-scientifique l’extrême-gauche ne conteste généralement pas l’efficacité du vaccin – en tout cas elle ne choisit pas principalement cet axe. En revanche à cause de son malaise vis-à-vis de la notion d’obligation elle défend la liberté de douter et d’agir conformément à ce doute.

Il est vrai qu’en soi le doute est une étape nécessaire de toute réflexion en particulier scientifique. Toutefois il faut également questionner l’exercice de ce doute. Et je suis sûr que la plupart des militants d’extrême-gauche m’accorderont qu’il y a un problème quand on doute des scientifiques spécialistes du vaccin alors qu’en parallèle on croit sur parole « conspi_du_69 » qui poste sur youtube une vidéo d’un mec qui tombe de sa chaise avec en titre « DANS UN CENTRE DE VACCINATION ! ENCORE UN CAS SUSPECT »… Ou lorsqu’on accorde sa confiance à des spécimens antivax de longue date comme Tal Shaller qui prétend d’autre part soigner avec de l’urine (il est « urinologue ») et à des gens qui parlent avec lui comme si sa parole pouvait avoir de la valeur. Les précédents nous apprennent pourtant que les fantasmes collectifs sur les vaccins sont bien plus courants que les effets secondaires et qu’ils se sont toujours avérés faux. Quand on a développé le vaccin contre le H1N1 Keny Arkana, une rapeuse conspirationniste trikar sauf parmi quelques raveurs bobos [1], sortait dans son son « V pour Vérité » qu’il y avait « peut-être une puce dedans »… Lors du vaccin contre l’hépatite B des médecins improvisés nous expliquaient déjà que ça causait la sclérose en plaque. Et ce sans le « recul » dont ils nous rebattent les oreilles H24 aujourd’hui. Parce que quand on l’a eu le recul on a remarqué que c’était une tempête dans un verre d’eau, il n’y avait ni puce ni sclérose en plaque. A l’inverse la covid fait des morts et des hospitalisés, des complications à long terme et le vaccin a prouvé son efficacité.

Cet usage du doute révèle un problème complexe de manque de démocratie en science auquel répondent les vulgarisateurs, les sites de savoir partagé tels que wikipédia ou ceux contournant les barrières des revues et éditeurs comme libgen ou sci-hub. Ceci dit ce n’est pas seulement l’information qui fait défaut, c’est aussi son usage, le raisonnement, voire, pour le dire de façon pompeuse, l’épistémologie (qu’est-ce-qui fait qu’un fait prouve ou pas une hypothèse ?). Et ce genre de problèmes est très long à résoudre, c’est une question d’éducation, parce que notre cerveau a des raisonnements spontanément biaisés. A-t-on ce temps en pleine épidémie ? N’est-ce pas un travail auquel l’extrême-gauche aurait dû s’atteler depuis belle lurette en défendant la science et sa méthode et dont on paie les conséquences aujourd’hui par la méfiance envers le vaccin [2]. Il s’agit là encore d’un témoin de l’influence romantique au sein de l’extrême-gauche.]] ?

Ces problèmes de démocratie dans la recherche scientifique, de surexposition à des informations diverses, souvent de mauvaise qualité, les réseaux sociaux et leurs algorithmes… sont complètement occultés par la focalisation sur la « liberté de choix ». L’extrême-gauche abandonne ici le domaine de l’idéologie sous prétexte que ce serait des préoccupations de théoriciens éloignés du terrain et refuse donc de réfléchir à ce qu’elle entend par « liberté ». Est-on libres lorsqu’on est portés par ses émotions ? Lorsqu’on fait des choix à partir d’informations fausses qu’on a pas su (et non « pu ») vérifier ? D’autre part on n’insiste peut-être pas assez sur le fait que le doute n’est qu’une « étape » qui doit nous amener à des certitudes, quand bien même elles seraient provisoires. A fortiori en politique ce sont ces certitudes sur lesquelles s’appuie la prise de décision, dont les conséquences ont vocation à être collectives. Or, évidemment, cela s’oppose à l’individualisme où chacun gère sa propre vie comme il l’entend.

Or l’extrême-gauche anti-autoritaire en particulier refuse cette responsabilité sous prétexte de promouvoir l’autogestion ou l’autonomie du prolétariat – ce qui pour moi signifie qu’elle se conçoit comme en-dehors du prolétariat sinon son activité théorique serait de fait l’exercice de l’autonomie prolétarienne. Pourtant la révolution doit porter une société meilleure que celle combattue. En l’occurrence nous sommes face à une épidémie qui est grave et en particulier un nouveau variant qui se propage à une vitesse très préoccupante. La société que nous combattons répond, en France, par la vaccination et le pass sanitaire visant à la rendre semi-obligatoire. Que proposent les révolutionnaires de mieux ? … Absolument rien. Ils se limitent à militer pour que cette réforme ne passe pas et dénoncent, à juste titre, la casse de l’hôpital public. On n’a ainsi pas la moindre idée de la façon dont une société plus saine réagirait dans une situation sanitaire comme celle à laquelle nous sommes confrontés. En gros au lieu de réfléchir aux problèmes qui existent au sein du peuple pour s’organiser en vue d’imposer un modèle de société meilleur que le capitalisme on fait ce qu’il faut bien appelé du réformisme radical en critiquant toutes les décisions d’état. Donc en somme en attendant que tout vienne de lui. C’est de l’agitation sans proposition positive.

On a bien quelques voix pour expliquer que la vaccination est la solution mais qu’elle ne doit pas être imposée, qu’il faudrait un débat démocratique et informer plutôt que réprimer. Concernant l’information c’est déjà le cas, rien ne sert de le nier : l’état honni informe et communique, il se contente pas de réprimer et contrôler [3]. Il en est de même du monde scientifique, des vulgarisateurs et de nombreux médias « mainstream » ou pas. Mais si ces propositions (débat ou information) sont insuffisantes pour étendre la couverture vaccinale c’est parce qu’elle n’ont de sens que dans une société saine, sans classes sociales aux intérêts antagonistes et sans une petite-bourgeoisie hystérique utilisant les nombreux médias (en particulier les réseaux sociaux) à sa disposition pour faire de la propagande individualiste et complotiste. Enfin si le débat démocratique s’embourbe (ce qu’il ne manquera pas de faire étant donnée l’intense désinformation propagée par les voisins de manifs de l’extrême-gauche) et que trop peu de gens se vaccinent, doit-on laisser les services de réanimation se saturer et les morts s’accumuler pour défendre une « liberté » illusoire ?

Collectivisme ou individualisme

Pourtant a priori la gauche et a fortiori la gauche révolutionnaire c’est la coopération, le commun, la solidarité, « la liberté des autres étend la mienne à l’infini », « pas de liberté sans égalité sociale et économique »… Le révolutionnaire est matérialiste et ne croit pas au libre-arbitre, la liberté est un construit social : la société, en favorisant la réflexion rationnelle et en permettant à chacun d’avoir à disposition des informations de qualité rend possible la prise de décision éclairée, rationnelle donc libre, à condition d’être égalitaire, qu’il n’y ait pas de classes sociales aux intérêts antagoniques et aux moyens matériels divergents. Le vaccin est typiquement une pratique de gauche pour le dire grossièrement. Le vaccin c’est justement faire primer l’intérêt et l’action collectifs sur les intérêts et comportements individuels. Il ne sert pas à se protéger soi avant tout, l’argument « je suis en bonne santé donc je n’en est pas besoin, que les personnes à risque se vaccinent si elles craignent » ne devrait même pas exister. Il n’est pas non plus tout à fait correct de parler de « protéger les autres » ce qui demeure une vision focalisée sur l’individu selon laquelle je ne contamine pas les personnes que moi, individuellement, je croise. Le vaccin repose sur l’immunité collective – et c’est ce qui fait qu’il n’a pas besoin d’éviter à 100% des personnes vaccinées d’avoir une forme virulente, contagieuse, pour être efficace [4]. En baissant le nombre moyen de personnes qu’un individu vacciné est susceptible de contaminer le temps qu’elle a la covid le vaccin permet de réduire la circulation du virus jusqu’à ce qu’il « disparaisse ». Mais pour ce faire il faut impérativement que la vaccination soit massive. Ça implique une conception du collectif autre que la somme des choix personnels. Ajoutons que le fait que la vaccination soit moins efficace contre certains variants devrait justement être argument pour la vaccination en urgence (donc sans attendre de convaincre les récalcitrants par un « débat démocratique » à l’issue incertaine) puisque moins il y a de personnes vaccinées, plus le virus circule, plus il mute et donc plus de nouveaux variants se développent.

Sans proposer un moyen pour la massifier les appels de l’extrême-gauche en faveur de la vaccination ne sont rien de plus qu’une pétition de principe. Le pass-sanitaire permet précisément cela. Oui c’est désagréable pour toutes les personnes qui avaient mieux à faire que de se faire vacciner (aller au restaurant par exemple ?) mais c’est probablement bien plus efficace que n’importe quel « débat démocratique » voir que n’importe quelle campagne d’information qui existe d’ailleurs d’ores et déjà. A moins de proposer une autre solution tout aussi efficace (ou de remettre en cause l’efficacité de la vaccination) on doit bien reconnaître que le pass-sanitaire en soi n’est pas une mauvaise mesure – et certainement pas la pire passée en ce moment. De fait, combien de personnes se sont vaccinées pour l’obtenir – pour voyager, travailler, aller au ciné [5] ? Notons par ailleurs que l’état prend probablement cette mesure à contre-cœur pour éviter un nouveau confinement par exemple car ça n’est pas dans l’intérêt de la bourgeoisie que la fréquentation des commerces soit diminuée. On peut contester évidemment que des tests PCR permettent d’obtenir le pass sanitaire alors qu’ils sont incertains ou que dans les lieux où le pass sanitaire est nécessaire il soit parfois autorisé de retirer son masque, mais cela revient justement à dire que le pass n’est pas assez restrictif. En revanche il me semble clair que la vaccination devrait être obligatoire.

« Comment un anarchiste peut parler d’obligation !? » diront alors les chantres de l’anti-autoritarisme. Si vous êtes capables de comprendre comment on peut priver Zemmour de s’exprimer sur la plateau télé et génération identitaire de manifester et s’organiser en collectif, creusez-vous les méninges car c’est la même logique. Plusieurs vaccins sont d’ores et déjà obligatoires en france sans que ça ne choque personne à part les antivax les plus convaincus (comme notre urinologue adoré). Si on admet que la covid tue et que le vaccin est efficace alors comment justifier qu’il ne soit pas obligatoire ? Et comment vérifier qu’il a bien été effectué sans un pass sanitaire ou un carnet de vaccination – qui jouerait du coup le même rôle ? Comment inciter les gens à se vacciner sans que ce soit un minimum contraint ? Mais au lieu de trouver des solutions les « anti-autoritaires » mettent en avant la liberté de disposer de son corps et la liberté de choix dans la plus pure tradition libérale où le corps est notre propriété et qu’évidemment on doit pouvoir jouir comme on l’entend de notre propriété. La décision est alors une affaire de sentiment, il faut être en paix avec soi-même, la vérité c’est secondaire. Dans un article sur iaata [6] il est dit en somme « peu importe les raisons de mes amis, c’est leur choix »… « Peu importe les raisons », ne signifie rien de moins que mettre de côté la question de la politique, de l’idéologie et plus généralement de la vérité : on ne se demande pas si ces arguments sont fondés, on ne prend pas position et donc on ne propose aucune « bonne façon d’agir » en fonction de ses convictions. Que des gens prennent de mauvaises décisions ce n’est pas un problème, les conséquences on s’en fout (quoi qu’il n’y ait pas de « mauvaises » décisions pour l’auteur de cet article, je parie, puisque si tu suis ton cœur c’est forcément une bonne décision).

C’est la liberté de pouvoir consommer sans assumer son choix de ne pas s’investir dans l’immunité collective qui est défendue jusqu’à l’extrême-gauche. Demain ce sera quoi ? La liberté de fumer dans les lieux publics fermés parce que c’est de la discrimination d’en interdire l’accès aux fumeurs ? La liberté d’amener du shit à l’école sous prétexte que c’est notre corps on fait ce qu’on veut et on ne devrait pas être exclus de certains lieux pour ça ? Bien sûr que nos comportements ont des conséquences sur les autres. Et dans le cas de la covid c’est encore plus vicieux puisque ces conséquences on peut ne jamais les connaître puisqu’on peut être porteur sans le savoir et même avec des symptômes on ne peut pas savoir qui on a contaminé. Au final la véritable question est donc bel et bien, malgré ses démentis, de savoir à quel point l’extrême-gauche elle-même considère que l’épidémie est un problème et la vaccination une solution.

Romantisme et complotisme

L’autre problème plus préoccupant est que, si elle conteste la méfiance vis-à-vis du vaccin, l’extrême-gauche se reconnaît probablement dans celle à l’égard de l’état qui anime les conspirationnistes puisqu’elle est elle-même convaincue que la vie du peuple l’indiffère. C’est que l’extrême-gauche est rompue à la sociologie structuraliste [7] qui, poussée à l’absurde et sous prétexte de matérialisme, suggère qu’il y aurait une relation mécanique de cause à effet entre intérêts matériels et donc place dans les rapports de domination d’une part et opinions, choix, comportements… d’autre part. En somme, les dominants ne sont de toute manière par dignes de confiance car la seule chose qui les préoccupe intrinsèquement et explique leurs choix est de rester à leur place. Sans doute cette approche est-elle celle d’une extrême-gauche qui n’en pas issue bien qu’elle prétende lutter pour les « classes populaires » car elle oscille entre populisme et misérabilisme. Elle doit trouver dans le discours anti-état et anti-« Big Pharma » un moyen de se sentir exister au sein du peuple qu’elle peine d’habitude à mobiliser.

Alors il n’est pas question de dire que l’état n’est pas contestable, mais sortir de la critique simpliste du type « l’état est du côté des riches donc il ne fait rien dans l’intérêt des pauvres [8] » qui n’est pas pour rien dans la convergence entre l’extrême-gauche et l’extrême-droite. Même avec cette logique cynique en termes d’intérêts, qui reste caricaturale, jusqu’à preuve du contraire les pauvres ont le droit de vote et il leur arrive même de prendre les armes. Donc bien sûr que quand il le peut le gouvernement s’intéresse aussi à eux. Et si on sort de cette logique caricaturale il faut reconnaître aussi, même si ça semble insurmontable à certains, que les politiciens restent des humains également tiraillés parfois par la compassion, par des convictions, etc… Il est juste de dire que celles-ci sont de bien peu de poids face aux questions de budget et aux intérêts carriéristes ou au lobbying néanmoins il est faux de nier purement et simplement leur existence.

Et c’est justement sur ce point précis que, selon moi, le mouvement est poreux (pour commencer gentiment) au fascisme. C’est-à-dire que la logique des personnes qui tombent dans ces panneaux conspirationnistes c’est que « si ça vient de l’état il faut forcément se méfier ». Alors que conspi_du_69 est un anonyme donc a priori « quelqu’un comme nous » venant du peuple et sans intérêt politique ou financier. Or, pour qui a une conception du fascisme un peu plus fournie que les groupes antifas, il est clair que ce raisonnement l’est. Le « peuple authentique » contre la science froide et l’état calculateur au service des élites (ici « Big Pharma ») : cette vision romantique est la matrice idéologique du fascisme. Le conspirationnisme EST le fascisme [9].

A partir de là je vais présenter mon point de vue sur la situation, il est probablement encore approximatif mais je pense qu’il a la vertu de mettre en exergue des problèmes complètement occultés à l’extrême-gauche, et propose une approche qu’on n’y trouve que rarement. Il me semble d’abord important de définir ici ce que j’entends par romantisme :Retour ligne automatique
1) le rejet de la société industrielle et de sa rationalité au profit de la dignité des sentiments et d’un retour à un passé fantasmé et aux traditions. Le monde moderne est représenté comme froid, urbain, perdu dans les calculs et la mesure, détruisant les traditions, le « local », l’artisanat, les intuitions populaires (dont les traditions seraient un témoin), le sens du devoir et l’identité… Il faudrait opposer la sensibilité au rationalisme, l’humain au profit, la sobriété au consumérisme, la nature à l’industrie, les sentiments au matérialisme…Retour ligne automatique
2) l’attention particulière portée à l’esthétique, en l’occurrence dans la lutte, à l’apparence. Typiquement ce qu’on appelle le « Riot Porn » dont une partie de l’extrême-gauche est grande consommatrice est un syndrome du romantisme. D’ailleurs l’insurrectionnalisme en soi est romantique car fasciné par un imaginaire (avec une insistance sur le côté « image ») assimilé à la lutte. Le romantisme est donc particulièrement lié à la notion de résistance et de dissymétrie dans la lutte. L’idée de groupes clandestins (de comités invisibles ?) devant œuvrer dans l’ombre, dans les interstices, dans une lutte quasiment absurde étant donné la supériorité de l’ennemi [10] sur tous les plans et donc guidés par leurs émotions, leur rage face à l’injustice, leur droiture morale, cet imaginaire relève du romantisme. Il est déversé dans tous les grands succès de la cinématographie critique comme fight club, matrix ou plus récemment mr. Robot (et également le grand classique de la littérature 1984).

Cette critique romantique du système s’oppose à la critique matérialiste du capitalisme. Si l’on veut aller plus loin on pourrait suggérer que la seconde est la critique révolutionnaire, développée par le mouvement ouvrier grâce à la science. Elle aboutit à fonder le capitalisme sur le salariat et la propriété privée des moyens de production. A l’inverse la première, la critique romantique, se distancie de la méthode scientifique, notamment pour ne pas aboutir aux mêmes conclusions. Ce qui nous fait dire qu’elle est portée par la petite bourgeoisie et non par la classe ouvrière qui est capable d’assumer ces conclusions et de s’organiser de façon rationnelle pour renverser le capitalisme.

Avec la Covid nous traversons une crise, qui est générale d’ailleurs et pas seulement sanitaire. Or évidemment en période de crise les modes de vie sont bouleversés, et d’une certaine manière ils doivent l’être pour qu’on en sorte. Or il se trouve une couche intermédiaire entre le prolétariat et a bourgeoisie qui ne supporte pas de voir sa routine bouleversée surtout si c’st pour être réduite à une discipline collective comme si elle était « comme tout le monde » (comprendre « comme de vulgaires prolétaires ») : j’ai nommé la petite-bourgeoisie. En france l’influence de la pensée petite-bourgeoise est importante et je pense qu’on la retrouve actuellement dans la volonté de « reprendre la vie d’avant la pandémie » c’est-à-dire se concentrer sur sa carrière, ses projets personnels, sa famille, sa consommation… La remise en cause de ses privilèges et les exigences collectives qu’implique la crise a tendance à pousser la petite-bourgeoisie dans une contestation par l’irrationnel [11]. Ça peut passer par le déni de la réalité de la crise – par exemple de la dangerosité du virus – et par la considération que la crise est en fait un complot dirigé contre elle pour l’empêcher d’avoir sa chance dans la concurrence capitaliste. Concrètement l’« élite » l’empêcherait de mener sa carrière, sa consommation, sa vie de famille car l’« élite » voudrait lui mettre des bâtons dans les roues plutôt que partager le gâteau. Cette critique romantique va de pair avec une focalisation sur la répartition des richesses plutôt que sur leur production. Elle s’exprime en particulier par le rejet de l’état et du personnel politique qui sont responsables de cette répartition ainsi que des médias. Ces différentes institutions et personnes sont traitées en traîtres comme si elles avaient un jour été de notre camp – ce qui montre que ce rejet du matérialisme empêche de saisir leur fonction sous le capitalisme. La petite-bourgeoisie est définie par son opportunisme ce qui explique en partie son irrationalité en politique : son romantisme peut très bien passer d’un pseudo-démocratisme radical (sauce Chouard ou RIC) au soutien de régimes autoritaires avec toujours en tête l’idée qu’il faut tenir en laisse les gros capitalistes et assurer ainsi une concurrence égalitaire [12]. L’état, le personnel politique et les médias deviennent cependant les cibles privilégiées des mouvements fascisants car ils sont considérés comme ceux ayant les moyens de réparer l’injustice mais ne le faisant pas.

Et s’il est un point sur lequel il faut insister c’est le suivant : Non cette vision n’est pas un égarement temporaire du peuple dans sa marche vers la révolution, non il ne faut pas encourager les gens dans cette voie en se félicitant qu’« au moins, enfin, ils se bougent » et que ce n’est que par la lutte (conçue uniquement comme sortir dans la rue face à la police) qu’ils apprendront ou encore que « Le peuple est comme il est, jamais comme certains voudraient qu’il soit [13] ». Mais le problème est peut-être que l’extrême gauche elle-même partage en partie cet anticapitalisme romantique [14]. Remplaçant le terme « élite » par celui de « bourgeoisie » mais lui conférant les mêmes caractéristiques. Ce qui va d’ailleurs de pair avec une certaine faillite de l’antifascisme.

L’extrême-gauche défend l’idée qu’on frôle la dictature policière, en réalité, on pourrait ici même étendre ce constat jusqu’à La France Insoumise. Dire que la bourgeoisie est une classe bien consciente de ses intérêts, organisée et capable d’élaborer des plans et de les faire appliquer par l’état à sa solde semble même banal à l’extrême-gauche. Les lois qui sont votées seraient quasiment dictées par l’élite, tout comme les discours tenus dans les médias, le racisme servirait à diviser le peuple… tout est verrouillé, contrôlé par la bourgeoisie. De même, qui, à l’extrême-gauche, n’a jamais entendu la spontanéité du peuple être louée ? Comme si derrière chaque vitrine cassée, chaque patron agressé voir, pour les plus cyniques des militants, chaque fils de riche racketté, s’exprimait la conscience de classe, ou plus exactement un inconscient de classe. Les idéologies froides et calculatrices, la discipline qu’exige leur application y sont volontiers conçues comme des trucs d’intellectuels éloignés du terrain et forcément bourgeois sur les bords. Les grands discours, les raisonnements dialectiques, c’est bourgeois, académique, le peuple authentique parle avec les tripes, sans y mettre forcément les formes, mais avec une connaissance pratique de la domination et ne pas y voir de la conscience de classe serait du mépris de classe selon certains sociologues critiques en herbe. Dire que le peuple peut s’égarer dans des dédales conspirationnistes est dans la suite logique, avec comme sous-entendu que ce serait sans conséquence car provisoire étant donné que ce n’est pas dans l’intérêt du vrai peuple.

En somme il y a donc deux dynamiques du romantisme à l’extrême-gauche : premièrement le populisme qui permet de considérer que la spontanéité du peuple le tire forcément dans la bonne voie et le conspirationnisme n’est qu’un errement temporaire, deuxièmement l’adhésion partielle à cet errement, le conspirationnisme ne serait pas si éloigné de la vérité (selon une partie de l’extrême-gauche en tout cas).

Antifascisme

Parmi les arguments démagogiques que j’ai moi-même pu défendre du temps des gilets jaunes (qui semblent s’être inscrits définitivement dans le paysage contestataire selon l’extrême-gauche) il y a celui-ci « il ne faut pas laisser la rue / le mouvement à l’extrême-droite ». Peut-être que cet argument aurait moins de poids si l’extrême-gauche abandonnait son habitude de se greffer aux mouvements des autres (que ce soit la CGT ou, aujourd’hui, les réseaux conspirationnistes) et organisait ses PROPRES manifestations avec ses PROPRES mots d’ordre. Encore faudrait-il qu’elle soit capable de mobiliser plus que ses niches. Et si elle n’en est pas capable peut-être devrait-elle aussi se questionner sur ses propres lacunes. En attendant, va-t-on à la manif pour tous pour porter une critique « révolutionnaire » du mariage comme institution et éviter que les « pas trop fachos » entrent à l’action française ? Je ne crois pas. En soi cet argument suppose que le mouvement contre le pass-sanitaire serait mené par des personnes vierges politiquement, les fameux « primo-manifestants » par exemple, et récupérés par l’extrême-droite réduites à ses organisations. Or cette conception abandonne la vision du fascisme comme un mouvement dynamique et global qui se retrouve dans toute la société et pas uniquement dans la sphère politique, elle abandonne aussi l’importance de l’idéologie.

La mode à l’extrême-gauche est de croire que le fascisme passe par le haut, par l’état et notamment par ses mesures dites « sécuritaires », la fameuse « société de contrôle ». Or c’est le contraire : le fascisme naît dans la petite-bourgeoisie et contre l’état républicain. Il s’est structuré historiquement au sein d’organisations extra-parlementaires paramilitaires comme les corps francs en allemagne, les faisceaux en italie ou les ligues en france. De Boulanger aux croix de feu la stratégie s’accommodait toujours fort bien d’une lutte contre l’état. Mais avant d’en arriver là il faut que sa matrice culturelle ait suffisamment infusé, et elle n’est pas toujours portée par des organisations mais également par des individus isolés, soi-disant issus du peuple et pas spécialement investis en politique, par exemple Julius Evola, Goethe, Giovanni Pascoli – et pourquoi pas Tolkien [15] ? – ou notre bon vieux Céline national, le Freeze Corleone des années 30.

Le fascisme se veut ni de droite ni de gauche, anti libéral et anti communiste. Et dans les faits il prend bel et bien ses racines autant à l’extrême-droite qu’à l’extrême-gauche. Boulanger a attiré des partisans de Proudhon et le cercle Proudhon en a pris le nom réunissant des syndicalistes révolutionnaires et des membres de l’action française. Ces mouvements contestataires posaient les bases intellectuelles du fascisme avant même de pouvoir appliquer des lois autoritaires et racistes. Le fascisme ne se définit pas avant tout par l’autoritarisme et le racisme, il se définit plutôt par le conspirationnisme (si l’on veut parler en termes récents) et le nationalisme. Il est les héros du peuple (= confondu avec la nation) contre la « ploutocratie internationale [16] » qui corrompt les institutions publiques et les médias. En soi la principale chose qui prémunit l’extrême-gauche contre le fascisme actuellement c’est son rejet du nationalisme et du racisme [17] et son adhésion à la conception libérale de la liberté. Malheureusement en adoptant le reste de sa grille de lecture romantique plutôt que d’y privilégier le matérialisme elle participe à mettre le peuple sur les rails menant au fascisme.

Répétons-le : non le fascisme ce n’est pas l’état qui se durcit progressivement au fil des lois comme si il n’existait qu’une différence de degré dans l’intolérance, la répression et l’autoritarisme avec la république. Comme si l’idéologie et la dimension culturelle ne comptaient pour rien. Comme si « Macron – Le Pen même combat, celui de la bourgeoisie ». Le fascisme c’est avant tout un anticapitalisme de type romantique qui se développe non pas par des lois au sommet au l’état mais au sein du peuple par la contestation de l’état et de l’élite. Hitler, comme Soral, ont été d’abord les victimes de la répression d’état, est-il nécessaire de le rappeler ? Le fascisme c’est avant tout la contestation par une partie des masses – de la petite bourgeoisie mais aussi du prolétariat – d’une élite fantasmée, machiavélique et philistine, qui serait unie, consciente de ses intérêts et corromprait les gouvernements, les médias et les scientifiques pour réaliser ses plans aux dépens du peuple et donc le fascisme n’est pas un fruit de l’autoritarisme ou de la violence, qui sont plutôt des conséquences de son approche romantique.

Suivant cette logique on comprend bien mieux qu’un mouvement tel que celui contre le pass sanitaire glisse aussi facilement dans des comparaisons antisémites honteuses entre le nazisme et la politique sanitaire du gouvernement. Sans parler des discours accusant carrément les juifs d’être à l’origine de la pandémie ou du complot vaccinal (le génocide des Juifs est donc instrumentalisé par des personnes qui ensuite reproduisent les clichés antisémites qui l’ont justifié, on est à un niveau d’indécence contre lequel seules les baffes me semblent être un remède efficace) [18]. Mais il faut dire ce qui est, l’extrême-gauche est globalement à la ramasse sur les questions d’antisémitisme [19] et l’antifascisme incapable de reconnaître l’importance du phénomène conspirationniste puisque lui-même s’embourbe dans une vision de la société où l’état serait une machine policière, répressive et le terreau de la dictature. Rappelons qu’il a fallu attendre plusieurs années avant que Dieudonné soit rejeté unanimement à l’extrême-gauche (et encore, unanimement est un bien grand mot) [20].

Mais évidemment mon point de vue implique d’admettre que la bourgeoisie n’est pas une classe parfaitement consciente de ses intérêts, parfaitement organisée pour les défendre. Comme pour le prolétariat cette organisation elle doit la construire contre des tendances à la division du fait de la concurrence entre capitalistes mais aussi entre fraction de capitalistes. Admettre également que l’état n’est pas puissant et qu’au contraire il est en ce moment impuissant, incapable de gérer la pandémie et les conflits entre classe et au sein des classes entre fractions. Nous ne sommes pas dans une dictature policière ni un royaume de la surveillance généralisée. Enfin cela implique de reconnaître que si le peuple ne se vaccine pas ce n’est pas avant tout la faute de l’état qui ne mettrait pas les moyens ou l’aurait rendu méfiant par sa mauvaise gestion de la crise jusque là. Mais parce que le « peuple » est rongé par l’individualisme petit-bourgeois provoqué par la marchandisation et la société de consommation produite par les décennies de croissance après la seconde guerre mondiale. Tout n’est pas la faute de l’état qui contrôle tout ou veut tout contrôler car le peuple serait dangereux. Sinon comment se fait-il que jusqu’ici la totalité des mesures prises par l’état ont été transgressées et sans aucune sanction la plupart du temps (malgré la médiatisation des exceptions) ? Durant le confinement et le couvre-feu on voyait des gens dehors, des soirées étudiantes dans les appartements, des restos ouverts, des gens sans masque, sans aucun contrôle… Que dire de l’application de gel hydro-alcoolique dans les commerces, du nombre limite de personnes dans les commerces, du carnet de rappel dans les restaurants… Toutes ces mesures étaient, au mieux, vaguement respectées, pour un pays sous une dictature ça parait assez contre-intuitif.

La lecture qui me semble correcte est donc l’exact inverse : l’état est dépassé par la crise sanitaire et ne contrôle pas grand chose. Et c’est probablement ça qui explique l’autoritarisme dont il peut faire preuve. Ça implique donc de penser que l’état n’est pas le moteur de la société mais qu’il réagit aux intérêts divergents au sein de la société qui deviennent encore plus saillants en situation de crise. En l’occurrence l’état est tiraillé entre la réalité de l’engorgement des services de réanimation, de la circulation du virus et du nombre de morts et les intérêts de la petite-bourgeoisie et d’une partie de la grande bourgeoisie qui ne veulent surtout pas fermer leurs commerces ou payer des salariés à rien foutre (malgré les multiples aides de l’état). Le prolétariat quant à lui n’est pas rendu passif par l’état, il est passif (politiquement) du fait de l’individualisme, de la société de consommation, tout ce qui importe c’est de pouvoir reprendre la vie d’avant, sa carrière, ses soirées, ses barbecues… Et c’est ce qu’on ressent dans l’opposition à ce pass-sanitaire qui interdit l’accès à des lieux de consommation ce qui est intolérable pour des gens dont toute l’existence est définie par la consommation. Mais évidemment dire ça n’est pas populiste car c’est considérer que certains problèmes viennent de la mentalité même du peuple. Qu’elle soit produite par le capitalisme (et non plus par l’état) le dédouane – de toute façon nous ne cherchons pas de responsables, malgré tout en tant que révolutionnaire ce n’est évidemment pas en réformant le capitalisme qu’on va gagner en conscience mais en agissant au sein du peuple, sur le peuple, en tant que peuple pour proposer mieux et montrer l’impasse du je-m’en-foutisme.

Conclusion

Il ne s’agit pas de dire que les participants à la mobilisation contre le pass sanitaire sont fascistes, ce serait justement encore une conception centrée sur l’individu. C’est le mouvement qui profite au fascisme. Les opinions personnelles des uns et des autres ne changent pas la couleur politique du mouvement car c’est ce que ses participants ont en commun qui le définit. Ce n’est pas parce que tu vas manifester en étant opposé à l’antisémitisme ou même que tu vires les fachos les plus explicites du cortège que tu vas changer la direction du mouvement et son fond idéologique. Ce qui unit les manifestants demeure un attachement à la liberté version libérale et une vision romantique de la société et de sa contestation. Or le romantisme, quand il devient contestataire et « anticapitaliste », ne favorise jamais que le fascisme. A Montpellier « Des professionnels de santé ont carrément dû replier en urgence une tente dédiée au dépistage du covid-19 sous la pression de la foule… » https://lepoing.net/montpellier-la-mobilisation-contre-le-pass-sanitaire-franchit-le-cap-symbolique-des-10-000-manifestants/ Comment y voir autre chose que la suite logique de la fuite en avant dans l’irrationnel, la spontanéité tant vantée qui devient vite violence et le sentiment d’être investi d’une mission transcendantale ? Est-ce réellement un événement marginal ou est-il symptomatique ?

Y a-t-il des bonnes raisons de s’opposer au pass sanitaire ? Sans doute y en a-t-il de s’opposer à la façon dont il sera appliqué mais de mon point de vue il n’y en a aucune de participer au présent mouvement. Tout ce qui bouge n’est pas rouge comme titrait un article un peu plus censé que les autres sur Rebellyon. Tout ce qui « vient du peuple »« et parait spontané a bien plus de chance de glisser fasciste que révolutionnaire. Il n’y a aucune raison de soutenir un mouvement dont les têtes d’affiche sont Francis Lalanne, Bigard, un urinologue, des coachs de vie ésotériques, des lanceurs d’alerte improvisés sur Instagram, Philippot, Dupont-Aignan… Car que vous le reconnaissiez ou non ce ne sont pas des personnes déjà fascistes et convaincues qui relaient ces personnalités, c’est votre »peuple spontané » qui les porte.

C’est un mensonge de dire que l’extrême-droite « récupère » ce mouvement : elle en est à l’origine [21], ce mouvement EST d’extrême-droite et SEULE l’extrême-droite peut en profiter. Malgré tous les efforts faits par l’extrême-gauche ce ne sont pas, en grande majorité, ses « analyses » qui sont relayées parmi les « primo-manifestants ». Ce sont bien les vidéos des conspirationnistes. Sur le terrain de l’anticapitalisme romantique vous ne faites pas le poids. Car vous êtes le cul entre deux chaises et ça se sent. Vous n’assumez pas le romantisme jusqu’au bout, jusqu’à vous foutre totalement de la rationalité (et c’est à porter à votre crédit), mais vous ne voulez pas non plus abandonner votre populisme qui vous enjoint à acclamer tout mouvement qui vous parait indépendant des syndicats et des partis [22]. Et si vous faites le poids face à l’extrême-droite et parvenez à faire votre beurre sur cette merde c’est probablement que vous avez sombré du côté de l’extrême-droite. Car, oui, la frontière est plus ténue que ce que laisse à penser le tableau mettant la gauche, le centre et la droite entre l’extrême-gauche et l’extrême-droite.

P.-S.

Un excellent dossier historique vient d’être mis en ligne par mondialisme.org soulignant comment de nombreux militants du syndicalisme révolutionnaire ont fondé la matrice idéologique du fascisme. Ces militants s’inspiraient du marxisme et de l’anarchisme, ils revendiquaient l’autonomie prolétarienne et s’opposaient farouchement aux bureaucraties syndicales. Je pense qu’on aurait intérêt à se repencher sur l’histoire et en particulier l’histoire des idées plutôt que de pester contre les médias qui mettent dos à dos extrême-gauche et extrême-droite. Car historiquement le fascisme est bel et bien issu tant de l’extrême-gauche que de la droite nationaliste et nous devons comprendre comment cela se fait pour endiguer efficacement une réémergence de ce phénomène.

Notes

[2A ce titre notons que l’extrême-gauche entretient des rapports très ambigus avec les chamanismes « alternatifs » (pseudo-médecines) comme l’acupuncture, la lithothérapie, l’ostéopathie, etc… qui sont des portes d’entrée vers le conspirationnisme par leur instrumentalisation du discours contre l’impérialisme européen, l’autorité que les scientifiques retirent de leurs compétences (réelles ou présumées), les grosses entreprises faisant du profit dans le domaine médical… Citons également les délires ésotériques agricoles comme la biodynamie de Pierre Rabhi qui se pare là aussi d’une critique romantique de l’industrie agro-alimentaire face à la « sobriété heureuse » (titre du l’un de ses livres). Rabhi étant un anthroposophe il est intéressant de noter que les écoles Steiner-Waldorf sont des portes d’entrée de maladies « disparues » du fait de leur opposition à la vaccination. Une brochure permettant de voir les liens qu’a entretenu l’anthroposophie avec le nazisme : https://chimereseditions.noblogs.org/post/2019/01/15/anthroposophie-ecofascisme/. Dans le même ordre d’idées rappelons que la secte scientologue elle aussi est contre tout injection de substance dans son corps y compris de médicaments et de vaccins car notre corps nous aurait été donné par dieu et qu’on n’aurait pas la légitimité d’interférer avec son fonctionnement, ça ne pourrait que le perturber. Remplacez « dieu » par « la nature » et vous constaterez que cette intuition est bien plus répandue qu’on ne le pense.

[3Et on pourrait même aller jusqu’à dire qu’il contrôle peu : l’identité du détenteur du pass n’est par exemple jamais vérifiée si bien qu’on peut très bien donner son pass à quelqu’un d’autre pour lui permettre de contourner les interdits.

[4Une petite vidéo qui explique comment fonctionne l’immunité collective : https://www.youtube.com/watch?v=sUsQKuyoqlU. Même si, une fois vacciné, on peut attraper la covid et qu’on a alors une chance sur 2 de la transmettre à 1 personne – donc qu’on la transmet en moyenne à 0,5 personnes – ça permet quand même de diminuer le R0, cela signifie juste que la vaccination doit être massive.

[5En soi il est dommage et symptomatique que ce soit en menaçant leurs intérêts égoïstes et consuméristes qu’on incite les gens à se vacciner.

[7Il y aurait beaucoup à argumenter à ce sujet et ça rajouterait encore du texte ceci dit je voulais quand même partager une analyse zététicienne de la trajectoire complotiste de Laurent Mucchielli un sociologue critique élève de Bourdieu.

[8Ce qui est étonnant quand on sait qu’AstraZeneca a été retiré pour une dizaine de cas de thrombose sur un simple doute – car, à ma connaissance, on n’a aucune preuve que le vaccin y soit pour quoi que ce soit – il y a de quoi être sceptique. L’Etat en aurait donc tellement rien à foutre de l’avis et de la santé de la population que pour rassurer des conspis il a retiré un vaccin »dans le bénéfice du doute« ?

[10Supériorité qui transpire de cette idée de « contrôle généralisé ».

[11Et c’est notamment pour cette raison que la zététique dépolitisée – ou le débat démocratique – n’arrivera à rien car elle tape à côté du problème. Elle répond avec des preuves scientifiques et de la rationalité à des personnes qui rejettent non pas seulement le vaccin mais la science et la rationalité elles-mêmes. Or, c’est la thèse que je défends ici, le romantisme est la pierre angulaire permettant à la fois de comprendre le fascisme et la cécité de l’extrême-gauche face à ses manifestations.

[12Ce qui est d’ailleurs paradoxal : si on admet que l’état fausse la concurrence en offrant des cadeaux aux entreprises les plus grosses cela sous-entend que ces entreprises sont devenues grosses avant d’être aidées par l’état. La concurrence libre et non-faussée est un mythe et l’état n’est pas à l’origine des inégalités.

[13Comme on peut le lire dans cet article relayé par ContreTemps : https://blogs.mediapart.fr/no-pass-aran/blog/030821/no-pass-aran

[14On trouve un archétype de cette position dans le discours du GARAP (un groupe communiste tendance conseilliste d’île-de-france) qui prétend depuis le début de la crise que l’épidémie est instrumentalisée et tirée en épingle par la classe capitaliste afin de faire accoucher par césarienne une crise économique inévitable et profiter de l’alibi de la Covid pour faire passer des réformes anti-sociales tout en empêchant le peuple de s’y opposer.

[15Voir comment il a construit la figure du nain : https://www.youtube.com/watch?v=6UQ-oWLsf4E

[16L’expression est de Mussolini.

[17Quoiqu’on puisse suivre Joao Bernardo lorsqu’il voit dans l’opposition « blanchité / racisés » des études post-coloniales portée par le Parti des Indigène de la République une réactualisation de la notion de « nation prolétaire » contre les nations « ploutocratiques » inventée par le poète Giovanni Pascoli développée politiquement par Corradini et reprise par Mussolini. Joao Bernardo le formule ainsi dans une série d’articles rappelant les origines syndicalistes révolutionnaires du fascisme : « Si, comme je l’ai écrit à plusieurs reprises, les identitarismes constituent la modernisation des nationalismes à l’époque du capitalisme transnational, alors le paradoxe de la « nation prolétaire » a été remplacé par le paradoxe de « l’identitarisme prolétaire », avec les mêmes conséquences néfastes. C’est pourquoi je considère l’identitarisme comme l’un des aspects de ce que j’appelle le fascisme post-fasciste. »

[18Un florilège de délires antisémites : https://youtu.be/a2meuwsabvs

[19Alors qu’on devrait être particulièrement inquiet à l’heure où Freeze Corleone est plébiscité dans les médias rap y compris (surtout ?) les indépendants, par les rapeurs eux-mêmes, qu’il fait des feats à l’international et que ses clips cumulent des dizaines de millions de vues en assimilant systématiquement juifs, finance et complot ou en vantant la détermination d’Adolf Hitler. Pourtant je n’ai trouvé quasiment aucune critique de ce « phénomène » sur les médias antifascistes qui préfèrent décrypter des photos facebook de groupuscules connus par personne (travail nécessaire par ailleurs mais vous aurez compris que là je suis d’humeur à taper sur les lacunes). Il devient quand même assez urgent de prendre le problème à bras le corps.

[20Un excellent article sur le sujet : https://www.lignes-de-cretes.org/dieudonne-bilan-provisoire/

[21Les antiautoritaires oublient un peu vite que les conspirationnistes n’ont pas attendu le vaccin pour surfer sur l’épidémie. Dès les premiers mois on avait des discours contradictoires (mais comme je l’ai expliqué, la rationalité n’est pas ce qui caractérise le fascisme), selon lesquelles le virus était fabriqué par des élites mal intentionnées par exemple pour diminuer la population, que le virus n’est pas si dangereux que ça et qu’il sert avant tout à restreindre les libertés et déjà, des mois avant que les vaccins n’aient commencé à être fabriqués, on entendait que le virus était un complot de « Big Pharma » (terme en lui-même conspirationniste) dans le but de vendre des vaccins avec déjà plein de délire sur sa composition ou sa dangerosité. Rappelons que le film Hold Up est sorti avant les vaccins par exemple. Dupont-Aignan entre autres était déjà relayé sur les réseaux et pas seulement parmi des personnes sympathiques vis-à-vis de l’extrême-droite mais également parmi des personnes ne le connaissant ni d’Eve ni d’Adam. Sachant cela, il est bien naïf de penser que les manifestants contre le pass-sanitaire sont passés outre toute cette propagande et ont décidé de lancer des manifestations spontanément par rejet de la société de contrôle.

[22Sans doute de nombreux militants d’extrême-gauche rêveraient d’être à l’origine d’un tel mouvement, pensent que le prolétariat doit s’auto-organiser et croient dans les vertus de cette auto-organisation. Sans doute est-ce pour cette raison qu’ils s’emballent pour n’importe quel mouvement qui en prend les allures. C’est du moins comme ça que j’arrive à comprendre cet engouement immérité pour les gilets jaunes et désormais le mouvement contre le pass-sanitaire.