La seule philosophie révolutionnaire

Le matérialisme est la seule philosophie révolutionnaire. C’est pour ça qu’il faut la réaffirmer avec force et en tirer toutes les conclusions.

Le matérialisme peut être résumer en deux thèses principales.

  • Tout ce qui existe est de la matière.
  • Le monde change.

Si on combine ces deux thèses ça donne : le monde n’est que de la matière qui change. Ce qui signifie que la matière est à la fois ce qui change et ce qui est responsable du changement. C’est ce qu’on appelle l’immanentisme : la matière est son propre moteur.

Une philosophie contestataire

Puisque la matière est responsable de ses propres changements, cela signifie que tant que la matière existe, le changement existe. L’immobilité est impossible. Le monde évolue continuellement. Concrètement personne n’en doute. Nous ne sommes pas des statues, nous bougeons. Nos occupations, centres d’intérêts et opinions changent avec l’âge. Le temps aussi varie, il fait parfois beau, parfois ça se gâte. Les espèces évoluent et certaines s’éteignent.

Rien ne peut stopper ce mouvement. Il ne dépend pas d’une volonté mais des propriétés mêmes de la matière. Même lorsque vous êtes assis, vous vieillissez. Un caillou posé sur une plage continue à subir l’attraction gravitationnelle de la Terre, le vent continue de le caresser l’usant progressivement, etc…

En quoi prétendre qu’il n’existe que de la matière en perpétuel changement fait du matérialisme une théorie contestataire ?

Eh bien c’est le cas dès lors que l’on applique cette philosophie aux sociétés humaines. Puisque seule la matière existe, les sociétés ne sont constituée que de matière. De plus, les sociétés sont elles aussi en perpétuel changement. La mode change, les techniques de travail changent, les mythes et religions changent… Tous ces changements que nous observons sont uniquement de la matière qui change de forme sous sa propre influence. De même aucun système politique, aucun mode de production, aucune religion ne dure éternellement.

Cette affirmation est intolérable pour les pouvoirs car cela signife deux choses :

  • Le système dans lequel ils vivent va changer.
  • Le système dans lequel ils vivent n’a pas toujours existé sous cette forme.

Or c’est l’exact opposé de ce qu’affirment les pouvoirs. La classe dominante va souvent avoir tendance à affirmer que la logique du système qu’elle dirige a toujours existé. Même si elle ne nie pas forcément que les choses ont changé avant son arrivée au pouvoir elle présente le système qu’elle domine est le résultat de la volonté de la nature ou de Dieu.

La religion dit soit que le changement est désormais impossible car ce qui existe est ce que Dieu a créé. Sans intervention divine ça ne peut changer (d’où tout ce tintamarre autour du retour du messie). Soit elle dit que tout changement est forcément d’origine divine.

Ainsi dans de nombreux mythes on retrouve l’idée qu’à l’origine le monde était un chaos et qu’à un moment donné des puissances surnaturelles ont imposé l’ordre. Il s’agit d’un ordre cosmique, comme si les lois de la physique avaient été inventé par ces dieux à ce moment là. Les dieux auraient au même moment favorisé la domination d’une classe de la population afin qu’elle fasse respecter l’ordre dans la société. C’est pourquoi dans de nombreuses sociétés primitives il n’y a pas de différence entre les sphères religieuses, politiques et économiques. Les gardiens du cultes ont aussi des pouvoirs politiques et bénéficient d’avantages économiques. Les dirigeants politiques sont quant à eux souvent soi-disant désignés par Dieu ou autres puissances surnaturelles ou logique de la nature.

Mais surtout, derrière se cache l’affirmation que le système qu’elle dirige est indépassable ou que ce serait un pis aller. Il y a eu un changement par le passé qui a transformé le chaos en ordre, certes. Mais désormais le changement est impossible ou hérétique. Vanter l’ordre « cosmique » des choses sert à justifier toutes les mesures que la classe dirigeante prend pour le faire continuer d’exister.

C’est pour ça que le darwinisme et la théorie de l’évolution par sélection naturelle soulève une telle opposition de la part des autorités religieuses. Le darwinisme affirme que les espèces ont évolué de tout temps et continuent d’évoluer actuellement. Et que la cause de cette évolution est comprise dans la nature. La survie et la reproduction des individus les mieux adaptés à leur environnement. Les mutations des gènes sont une des causes du changement. Les changements environnementaux (climat, moins de nourriture, etc…) sont une deuxième cause de changement. Il n’y a aucune place pour Dieu.

Le créationnisme en revanche explique que les espèces ont été créées telles qu’elles. Dieu a claqué des doigts et les tigres sont apparus, les lions sont apparus, les zèbres, les humains et les escargots. Et qu’ils n’ont pas changé depuis la création. Cette thèse est démentie par toutes les observations scientifiques mais reste malgré tout tenace. Car en réalité ce qui fait existé cette thèse c’est qu’elle justifie le pouvoir des religieux. Elle n’a pas du tout pour objectif de connaître la vérité.

Le matérialisme bourgeois

Ainsi la classe dominante prétend que l’ordre des choses ne peut pas et ne doit pas changer. Le matérialisme est donc très dérangeant en affirmant que l’ordre des choses va changer, qu’on n’y peut rien et que la cause de ce changement de société est la même que celle qui a amené cette société. Il remet en cause toute la propagande religieuse selon laquelle les choses seraient désormais définitivement fixées. Et d’autre part il remet aussi en cause l’idée que la société actuelle serait la plus compatible avec les lois naturelles ou la volonté divine. Le matérialisme affirme au contraire que tout ce qui existe est naturel, sinon ça ne pourrait tout simplement pas exister. Ce qui existe actuellement est naturel mais le changement l’est aussi.

Le cas du capitalisme est un peu particulier car celui-ci est laïc. Cependant il substitue une métaphysique laïque à la métaphysique religieuse. Ainsi la théorie libérale qui légitime la société capitaliste part du principe que l’être humain serait sortie de l’animalité (équivalent du chaos originel) en dominant son instinct par sa raison. Ce dépassement correspond à un long processus historique où le dépassement de l’instinct se fait d’abord par l’irrationalité avec la religion. Puis la méthode scientifique et le capitalisme s’imposent vers le 15ème siècle après Jésus-Christ. Le capitalisme serait le système rationnel par excellence. Il signe la sortie de l’humanité de l’instinct et de l’irrationalité. Il serait la fin de l’histoire. Désormais le capitalisme serait une société d’humains rationnels libérés qui peuvent faire des choix librement sans se calquer sur les fantaisies des religions.

Là où le libéralisme se trompe c’est qu’il garde une part d’irrationnel. Selon cette théorie l’évolution naturelle aurait doté l’être humain d’un esprit surnaturel (voir le texte sur l’émergence). En effet, la « raison » serait une capacité de l’esprit humain qui permet à chaque individu de passer outre les influences du monde matériel. En un mot, l’esprit humain peut changer (on peut changer d’avis par exemple) mais ce changement n’est pas dû à la matière. L’esprit n’est pas influencé par la matière ça revient à dire que l’esprit n’est pas fait de matière.

Les classes dominantes produisent toujours des théories pour défendre et légitimer leurs privilèges. Le matérialisme, lorsqu’il est assumé pleinement, les remet à leur place. Mais le matérialisme ne s’arrête pas là. Il constate qu’il ne sert à rien d’opposer une théorie, fut-elle matérialiste, à une autre. Le matérialisme est une philosophie dérangeante et contestataire mais elle sait en même temps que ce n’est pas elle qui va changer les choses. Et c’est là que ce trouve la distinction entre le matérialisme conséquent et le pseudo-matérialisme bourgeois porté par le libéralisme.

Le libéralisme, comme je l’ai dit, prétend que c’est la raison qui permet à l’être humain de s’extraire des contraintes naturelles et notamment ses instincts. Pour les libéraux, les humains peuvent arriver à découvrir la vérité juste en faisant fonctionner leurs méninges. Il leur suffit de réfléchir pour développer des théories plus justes. C’est ainsi que les libéraux analysent le renversement de la monarchie absolue, du clergé et de la noblesse au 18ème siècle. On apprend dans les manuels d’histoire que la révolution française a eu lieu grâce au courage des philosophes des Lumières. Ils ont eu le courage de réfléchir en-dehors des carcans. N’importe qui d’autre avant eux aurait soi-disant pu le faire mais… ils n’ont pas osé ou étaient moins intelligents. Les paysans auraient alors été convaincus par ces belles paroles.

Au contraire, le matérialisme conséquent enseigne que les théories sont matérielles. L’esprit humain n’est pas libre. Les idées dépendent de nos expériences dans le monde. Notre esprit n’élabore pas de théories par la seule force de sa réflexion. C’est la société et les situations dans lesquelles elle nous met qui produit dans notre cerveau des idées. Autrement dit, n’importe qui qui aurait vécu exactement la même vie que Voltaire aurait écrit les mêmes œuvres. Il n’était pas un génie sorti de nulle part. Il n’est qu’un humain classique qui a été au bon endroit au bon moment.

Nos idées sont donc le reflet de ce qu’on a vécu. Deuxièmement, une théorie est juste une façon de formuler de façon logique des idées sur le monde. Pour qu’une théorie fasse des adeptes il faut de deux choses l’une :
– qu’elle fasse écho aux idées que les gens ont du monde
– qu’elle articule ces idées d’une façon qui paraît cohérente aux gens.
Ces deux points dépendent de la même chose : ce qu’on vécu les gens. Autrement dit, les Lumières n’ont pas développé des théories exceptionnelles, elles ont juste eu la « chance » de les théoriser à une époque où beaucoup de gens en avaient marre de la monarchie, du clergé et de la noblesse. Ainsi ces gens étaient réceptifs à ces théories contestataires.

Autrement dit, les théories ne sont pas des forces extérieures au monde qui peuvent lui imposer le chemin à prendre. Ce qui est rassurant d’une certaine manière puisque les pouvoirs proposent toujours des théories pour légitimer leurs pouvoirs. Or un matérialiste sait que les pouvoirs peuvent bien dire ce qu’ils veulent, ils ne stopperont pas le changement. Ils sont eux-mêmes de la matière que le reste de la matière fait parler. Leurs théories sont des postillons dans l’océan.

Évolution et révolutions

On ne peut pas imposer l’immobilisme à la société juste par la volonté. Mais alors si les changements sociaux ne sont pas dus aux nouvelles théories, à quoi sont-ils dus ? Eh bien à l’activité quotidienne de tous les individus, même lorsqu’elle est inconsciente de ses effets.

La volonté, les opinions sont un fruit de l’activité de la société. Et cette activité change constamment le rapport de la société à son environnement et les rapports entre individus au sein de la société.

Les humains doivent se nourrir comme tout animal. Ils sont donc sans arrêt en train de dealer avec leur environnement. Ce faisant ils en apprennent sans arrêt sur cet environnement et sur eux-mêmes. Les humains ont en plus une capacité exceptionnelle pour partager ces connaissances et s’enrichir mutuellement. On invente donc de nouvelles techniques grâce auxquelles on parvient à mieux maîtriser les effets de nos actions sur le monde. On invente de nouvelles façons de s’organiser pour pouvoir mettre à profit ces nouvelles techniques. Ces nouvelles organisations nous forcent à réfléchir différemment. En plus, les nouvelles techniques nous apportent de nouvelles connaissances sur le monde. Au final les anciennes théories deviennent obsolètes et doivent être dépoussiérées.

Mais s’en tenir à ce type de vision évolutionniste ne suffit pas. Le monde n’évolue pas que de manière graduelle. Parfois des changements brusques surviennent, des révolutions. La raison est que la matière suis un développement inégal. Et ça vaut pour les sociétés humaines. Chaque individu, chaque société, naît avec des aptitudes similaires. Sauf qu’ils ne naissent pas dans un même environnement. Et certains sont avantagé par ces conditions de départs et parviennent à concentrer de la richesses ou du pouvoir et bien souvent les deux en même temps.

C’est ce qui amène la société à être divisée en classes sociales : une dominante et une ou plusieurs dominées. Or les rapports que les classes entretiennent les unes avec les autres est primordial dans l’évolution des sociétés. Car la matière peut évoluer de façon inégale mais dans le cas de la société cette inégalité est relative. C’est-à-dire que la classe dominante l’est parce qu’il existe une classe dominée. La classe dominante a besoin de la classe dominée, car elle n’est dominante que par rapport à elle.

La classe dominante ne peut pas phagocyter la classe dominée. Autrement dit tout le monde ne peut pas être riche. Pour qu’il y ait des riches il faut des pauvres à qui les comparer. Comme diraient Furax « La sueur des pauvres s’oppose à la paresse des riches« . Par conséquent la classe dominante doit faire exister la classe dominée en tant que classe dominée. Et la classe dominée n’a pas le choix de faire exister la classe dominante puisqu’elle est exploitée par celle-ci.

La classe dominante, comme on l’a vu, va toujours chercher à assurer son pouvoir. Pour ce faire elle va s’assurer d’avoir les armes de son côté notamment le savoir. Les classes opprimées quant à elles ont tout intérêt à renverser la classe dominante. Cependant elles n’en ont pas toujours conscience. La classe dominante divise les classes opprimées, monte les uns contre les autres, isole les plus réfractaires voir les élimine. De plus elle embrouille la vision du monde des classes opprimées par la propagande. Elle utilise Dieu comme un bâton menaçant de tomber sur ceux qui se révoltent par exemple.

Sauf que la société change comme on l’a vu. Et au bout d’un moment soit une des classes opprimées parvient à se faire une place et à profiter suffisamment de la marche du monde pour renverser la classe dominante et prendre sa place. C’est ce qui s’est passé jusqu’à présent. Soit la classe opprimée renverse la classe dominante mais elle ne peut pas la remplacer car elle abolit en même temps l’exploitation elle-même. Elle abolit la domination de l’homme par l’homme. C’est ce qu’on peut espérer pour l’avenir.

Dans les deux cas les théories de la classe dominante vantant l’ordre social doivent s’effriter. Dans le cas où une classe montante prend sa place, cette dernière a besoin du soutient des autres classes opprimées pour renverser la classe dominante. Elle profite alors des changements sociaux graduels. Ceux-ci s’accumulent jusqu’à ce qu’une des classes dominées soit dans une meilleure posture pour contester l’ordre établi. D’autre part, les autres classes dominées elles-mêmes ont probablement vu leur situation changer en parallèle. La classe montante peut alors développer une nouvelle théorie correspondant davantage à la nouvelle situation (nouvelles connaissances et nouvelles organisations du travail). Au passage, cette nouvelle théorie va là aussi promettre que la société qu’elle dominera sera la plus juste qui soit.

Le résultat est un condensé de mécontentements graduels qui débouchent sur une révolution brutale.

Conclusion

En affirmant que tout est matière, le matérialisme réduit les dominants à être faits de la même substance que ceux qu’ils dominent. Ce qui signifie que ce n’est pas à leurs qualités particulières que les dominants doivent leur place mais à un concours de circonstance. Le sous-entendu est donc qu’un système social de classe est forcément imparfait. Il nourrit plus certaines personnes que d’autres alors qu’elles ont les mêmes besoins.

Le matérialisme affirme que les humains sont faits de la même substance que n’importe quel objet inerte qui les entoure. Donc que tout changement dans le monde humain est dû aux mêmes raisons intimes qui font changer le climat ou la forme d’une pierre. Le matérialisme porte donc un second coup dans les couilles de la domination en démontrant que le mérite n’existe pas. Les dominants et les dominés ne sont pas partis de la même position. Si les dominants et les dominés n’ont pas les mêmes avantages ce n’est pas parce que les uns auraient fait les bons choix et les autres les mauvais et que les premiers auraient été récompensés et les autres punis. Non, c’est qu’il y avait une inégalité dès le départ. Tout ce qui a amené les dominants à avoir des privilèges est indépendant de leur volonté.

Ainsi ce n’est ni une qualité des dominants, ni leurs choix qui expliquent qu’ils aient des privilèges et du pouvoir. Il y a donc une explication matérialiste à la domination. La matière se développe sous son propre effet mais elle se développe de manière inégale.

Depuis le Big-Bang les atomes et particules n’ont pas été répartis de façon uniforme dans l’univers. Certains étaient isolés alors que d’autres étaient rapprochés les uns des autres. A partir de là, ceux qui étaient plus proches les uns des autres subissaient davantage leurs effets mutuels. Notamment la gravité ou la force électromagnétique puis l’attraction nucléaire. Il ont commencé à former des amas qui ont conduit notamment aux premières étoiles puis aux premiers atomes lourds puis aux minéraux, astéroïdes, planètes. A côté, les atomes isolés se baladaient dans l’espace. On voit donc bien ici un développement inégal de la matière expliqué par l’action de la matière sur elle-même et la répartition inégale de la matière dans l’univers.

Il en va de même à l’échelle de complexité de l’humanité et de ses sociétés. Certains parviennent à accumuler les richesses et les avantages et à prendre le dessus sur les autres. Ils les font ensuite travailler à maintenir reproduire leur domination. Ils se racontent des histoires pour justifier leur domination. Mais ne réalisent pas que leur société évolue en parallèle et que le temps de leur domination est compté. Une classe montante les menace et les renverse.

Cependant le capitalisme a marqué la limite de cette succession de domination. La bourgeoisie a étendu son hégémonie à la planète entière. Elle a polarisé la société entre elle, classe dominante, et la classe qu’elle exploite : le prolétariat. Pour arriver à ce résultat elle a dû acquérir une grande connaissance et une maîtrise technique de son environnement. C’est en émancipant la science de l’obscurantisme religieux qu’elle y est parvenue. Mais ce faisant elle a aussi doté le prolétariat d’une arme redoutable pour bâtir sa théorie révolutionnaire. La bourgeoisie est incapable d’utiliser la science pour comprendre véritablement en quoi consiste le monde et la réelle place de l’humanité en son sein. Aveuglée par sa doctrine utilitariste, la science a avant tout comme objectif de lui permettre de faire toujours davantage de profit et de lui créer une nouvelle métaphysique sur mesure pour justifier sa domination.

Mais la société change… Le rapport de force ne sera pas toujours favorable à la bourgeoisie. Et armé du matérialisme le prolétariat parviendra à renverser la bourgeoisie. N’ayant aucune classe à dominer et ayant étendu la connaissance scientifique à la connaissance de l’humain et de l’histoire de ses sociétés le prolétariat devrait abolir l’exploitation et la domination.

La société sera alors organisée démocratiquement et méthodiquement pour permettre le développement le plus harmonieux de la vie.