Analyse Matérialiste des Inégalités

L’anthropologie et la sociologie sont les sciences qui ont inventé la société comme objet d’étude. Ce faisant la société devient un phénomène indépendant de ses composants : les individus. C’est-à-dire que la société agit sur les individus sans que cette action ne passe par les individus.

La société est alors généralement définie comme un groupe d’individus partageant des normes, des pratiques culturelles et des valeurs communes qui ont une durée de « vie » indépendantes de celles des individus.

On est dans une définition de la société par l’émergence. Un groupe d’individus serait une société quand il possède des propriétés émergentes : une « culture » qui serait irréductible aux [propriétés des] individus.

C’est une conception idéaliste de la société, et non matérialiste. Mais une conception utile afin de justifier l’existence d’une discipline vouée à l’étude de la société, d’obtenir des financements pour l’étudier, etc…

Cette erreur a été remarquée mais combattue en faisant de l’individu la seule réalité fondamentale de la sociologie. Ce qui est tout aussi débile et impossible sans le libre-arbitre. On en arrive parfois quasiment à revenir au solipsisme. La définition du rôle social d’un individu serait avant tout celle que l’individu concerné lui donne. Si un individu se conçoit comme un « professeur » alors il va agir comme un « professeur » et faire exister le rôle social de « professeur ».

D’un autre côté on a la psychologie et les neuro-sciences qui s’occupent du cerveau et de la conscience. Comme s’il était possible de parler de conscience sans parler de vie sociale et inversement. Nous sommes des animaux sociaux donc notre cerveau a évolué en s’adaptant aux besoins de la vie sociale. D’un autre côté, les croyances, les représentations qu’on a du monde malgré leur dimension collective n’existent que dans les cerveaux individuels.

Mais la science sous le capitalisme n’a pas pour but de découvrir la vérité, elle a pour but d’être utilisable. La théorie a peu d’importance, elle peut être fausse, tant qu’on parvient à produire des technologies qui fonctionnent et vont pouvoir se vendre. Des technologies ou, dans le cas des sciences humaines, des méthodes de contrôle / de management.

« Si la science – à supposer que ce concept ait un sens – peut encore jouer un rôle en ce sens, il faudrait sans doute en repenser les modes. S’extraire du technocratisme ambiant, du financement à court termes sur projets, de la précarisation des emplois, de l’évaluation à outrance, de la course aux publications, des l’importation dans le secteur public des techniques de management du privé, etc. Peut-être alors une physique (pour référer à ce que je connais un peu) réenchantée et redynamisée émergeait-elle. Rien, hélas, ne laisse présager de telles évolutions à court terme… »

Pour autant, les intuitions sont bonnes car on voit bien que le « conformisme » est étroitement lié à la vie sociale. C’est même un peu tautologique, s’il n’y a aucune coopération, aucune cohésion, aucun conformisme, on ne parle pas de groupe. Parler de valeurs ou de normes qui dépasseraient les individus est une mauvaise façon de parler de la transmission de sens entre individus. Ce qui est réductible à des propriétés individuelles comme la capacité de se comprendre mutuellement, la capacité de ressentir des choses et de les différencier les unes des autres.

Ce sont des propriétés que partagent tous les animaux à des degrés divers. Dire que les sciences « humaines » sont des sciences de la nature c’est en fait dire que ce ne sont pas des sciences « humaines ». On pourrait tout à fait faire la sociologie d’une autre espèce. Maintenant, chez les espèces humaines le phénomène social a pris une dimension spécifique à cette espèce. Sans doute parce que la vie en société a été un atout évolutif particulièrement chez les humains. Soit parce qu’ils n’avaient pas d’autres atouts, soit parce qu’ils étaient très bien adaptés à la vie sociale. En gros je ne sais pas si les humains ont commencé à vivre en groupe et que ça a été tellement déterminant dans leur survie qu’ils ont développé des caractères qui facilitaient la vie sociale. Ou s’ils avaient déjà des caractères qui les prédéterminaient à avoir une vie sociale riche. Sans doute un peu des deux même si je mise plus sur la première hypothèse.

Mais réduire la société au fruit des choix des individus empêche de décortiquer ces choix trouver ce qui les détermine.

Sur la distinction idéalisme / matérialisme ou en termes plus modernes physicalisme / dualisme lire de l’esprit au cerveau de Thierry Ripoll.
Il y explique que le dualisme est sans doute un paradigme inné (nous sommes biologiquement déterminés à être a priori dualistes soit parce que le système nerveux fonctionne en se concevant comme distinct de l’environnement et s’autodéterminant soit c’est l’expérience consciente produite par le système nerveux qui est elle-même inséparable de ces impressions d’être autodéterminé et distinct de l’environnement).

En outre le dualisme est aussi, et par conséquent, la base de la plupart des cultures humaines. D’après moi il est aussi un témoignage de notre porosité à des raisonnements irrationnels qui permettent notamment de légitimer les hiérarchies et les inégalités.

Par conséquent, plutôt que de définir la société à partir du développement d’une culture / de normes, je considère à la suite de Marx, que la vie sociale est l’imbrication d’une « infrastructure » et d’une « superstructure« . L’infrastructure est ce qui définit la société objectivement, la superstructure correspond aux représentations subjectives des membres de la société.

L’infrastructure correspond au côté « groupe d’individus », c’est l’organisation très concrète des interactions entre les individus et avec l’environnement, les rapports sociaux.

La superstructure est la façon dont les individus justifient, expliquent ou jugent collectivement ce qui se passe. Elle n’existe nulle part ailleurs que dans les cerveaux des individus composant la société. C’est l’ensemble des représentations que les individus ont du monde. Et donc le sens qu’ils donnent à ce qu’ils font et à ce qui les entoure. Le terme « culture » pourrait être employé comme synonyme de « superstructure » mais ce n’est généralement pas le cas dans le langage commun. Il comprend souvent des phénomènes relevant des relations objectives des individus entre eux. Je relie plutôt le terme « infrastructure » à celui d' »idéologie » au sens large.

Les deux dimensions (infrastructure et superstructure // réalité objective et représentation qu’on a de cette réalité) sont liées mais indirectement, c’est pour ça qu’on peut théoriquement (et schématiquement) les différencier. C’est dû à la conscience humaine et la façon dont elle se construit par rapport à l’expérience et à ses prédispositions génétiques qui fait que le but de la conscience n’est pas uniquement d’appréhender le monde avec exactitude.

1) Nos sens ne nous renseignent pas sur l’ensemble de la réalité (on ne voit pas l’infrarouge, on n’entend pas les ultrasons, etc…)
2) Les signaux qu’on perçoit de l’environnement sont interprétés et mis en lien inconsciemment à d’autres informations
3) On n’est pas capables de transmettre de façon parfaite nos interprétations aux autres individus. On a recourt à un langage qui est lui-même une représentation compréhensible par tous de nos représentations ressenties.

Une œuvre ou un discours n’est donc pas le reflet de la réalité à laquelle il prétend se référer. Il reflète le rapport d’un organisme à son environnement ET aux moyens d’en rendre compte à ses congénères. Si je parle d’une chose j’en dis moins sur la chose que sur la façon dont je perçois la chose et sur les moyens que j’ai d’en parler.

Pour comprendre le véritable sens d’un discours il faut donc comprendre ce qui détermine le rapport des individus à leur environnement et ce qui détermine les rapports des individus aux moyens d’expression dont il dispose.
Il y a donc forcément deux lectures parallèles :

– Une lecture génétique et biologique qui étudie comment se forme le corps humain et notamment son cerveau. Afin de comprendre sur quelles bases physiques et chimiques nous interagissons avec l’environnement. Dans quelle mesure celui-ci peut nous affecter.

– Une lecture environnementale qui étudie l’état de notre environnement à un moment donné. La sociologie et l’histoire n’étant que des sous-parties de cette lecture qui étudient l’organisation de la société.

La combinaison des deux permet de savoir à un moment donné quel est l’effet de l’environnement sur l’individu et comment celui-ci va y réagir.

Ce blog a l’ambition de contribuer à cette réflexion tout en ayant un objectif à coloration plus morale en se concentrant sur la critique des sociétés de classe et de l’exploitation.