Michel Onfray, Front Populaire et le Souverainisme

Début 2020, Michel Onfray a fait la tournée des médias pour présenter sa nouvelle revue intitulée « Front Populaire ». Personnellement, j’en ai eu connaissance en visionnant un échange de cordialités1 entre ce philosophe et Eric Zemmour qu’il n’est plus besoin de présenter.


Je connaissais déjà Michel Onfray depuis que j’ai lu son « Traité d’athéologie », un livre à charge contre les trois religions monothéistes. Depuis il s’est illustré par plusieurs autres écrits polémiques comme « Crépuscule d’une idole » censé démonter Freud. Mais son œuvre majeure, selon plusieurs médias2 est sa « Contre histoire de la philosophie ». Onfray est aussi le fondateur d’une école à Caen où il prétend faire de « l’éducation populaire » désormais fermée par la mairie.
Cette posture critique (des religions, de la psychanalyse ou de l’histoire de la philosophie) est à lier au fait qu’Onfray s’autoproclame libertaire.

Cependant, au fil du temps Onfray a été de plus en plus renié3 par les anarchistes tandis qu’il acceptait des interviews de journaux habituellement classés à droite et focalisait sa critique sur l’islam. Il explique notamment dans le « débat » avec Zemmour qu’on peut « « épargner le catholicisme » de sa critique globale des religions monothéistes.4 ».

Ce virement est assez significatif alors qu’il intervient quand la question de l’identité nationale permettait de stigmatiser les personnes issues de l’immigration africaines et les habitants des quartiers populaires est mise sur la table. Quand la thèse du « grand remplacement » (de la population et de la culture européenne par celles arabo-musulmanes) se banalise notamment du fait de la propagande acharnée de personnalités comme Zemmour.

C’est d’abord ce point particulier qui a interpellé la gauche justifiant qu’elle classe Onfray à l’extrême-droite (ce dont il se défend avec acharnement). Avec sa revue Front Populaire centrée autour de la question du souverainisme Michel Onfray fait apparaître avec une certaine clarté d’autres facettes de sa théorie qui sont moins critiquées et pourtant tout aussi contestables. En tentant de synthétiser ses positions dans une doctrine politique cohérente en réalité il s’oriente de plus en plus vers le fascisme. Je propose donc une réflexion pour argumenter tout ça, lui qui se plaint de n’avoir à faire qu’à des invectives.

Le fascisme ?

Le fascisme est un mouvement de masse qui se développe en période de crise du capitalisme. Ce mouvement parvient à mobiliser une grande partie des masses en adoptant une posture faussement contestataire, « anti-système ». Il se substitue ainsi à la véritable contestation révolutionnaire dont il pompe le vocabulaire ou certaines postures.

Le discours fasciste est d’abord une réaction de classes moyennes que la crise appauvrit, entraînant de larges secteurs du prolétariat. Ces classes moyennes voient dans leur paupérisation le reflet de ce qui se passe dans la société. Ainsi leur discours est dramatique et se structure autour de la protestation contre la décadence de la civilisation. Une décadence qui semble inévitable, fatale et contre laquelle les fascistes se voient comme des résistants. C’est une vision romantique où l’héroïsme, le sacrifice, le courage, l’abnégation sont salués.

Cependant ces petits-bourgeois ne parviennent pas à remettre en question le capitalisme comme le fait le mouvement communiste de la classe ouvrière. Car la petite-bourgeoisie a goûté au confort, à la propriété privée et surtout à la liberté d’entreprendre. Cette petite-bourgeoisie est encore pétrie d’idéologie libérale. C’est pourquoi elle a une vision aristocratique qui méprise l’apathie des « masses populaires ». Les fascistes se prennent pour des élus, des gens qui font passer leurs convictions avant les bassesses matérielles telles que l’argent.

Pour autant le libéralisme est bien une des cibles du fascisme. Il faut bien une cause à tous ces tourments que vit le peuple et pour les fascistes ce sont les valeurs libérales. L’individualisme et le matérialisme, au sens d’attachement aux choses matérielles qu’on peut posséder, corrompent les gens, et en particulier les élites financières, et se dressent devant les intérêts du peuple.

Mais le fascisme n’est pas que ça. Ce désarroi de la petite-bourgeoisie rencontre la prétention hégémonique et antidémocratique de la grande bourgeoisie monopoliste. Les capitalistes dirigeants de monopoles sont acculés à deux solutions pour accroître leurs profits : exploiter davantage la force de travail ou utiliser l’état afin d’écraser leurs concurrentes ou de prendre le contrôle de matières premières – ce qu’on appelle l’impérialisme. Dans les deux cas les monopoles ont tout intérêt à sacrifier la démocratie libérale au profit d’une dictature réactionnaire.

Ces deux tendances, petite-bourgeoise et monopoliste, se combinent durant la crise dans le nationalisme. C’est grâce à ce nationalisme que les petits-bourgeois peuvent prétendre défendre les intérêts du peuple sans remettre en question la propriété privée et le droit d’exploiter des ouvriers et de toucher des bénéfices. La Nation étant assimilée au Peuple et le nationalisme étant présenté comme l’incarnation de la lutte des classes. Mussolini lui-même a adopté la notion de « nation prolétaire » pour parler de l’Italie notamment. Ces nations prolétaires seraient exploitées par des nations bourgeoises par l’intermédiaire d’institutions trans-nationales comme la SDN (ancêtre de l’ONU).

L’antisémitisme fait aussi d’une pierre deux coups. Pour les petits-bourgeois, celui-ci découle d’une mauvaise compréhension du système économique qui attribue à la finance voir à l’argent lui-même tous les maux. Cela permet de faire du « peuple » une victime et de prétendre défendre ses intérêts afin de le mobiliser. Pour les monopoles l’antisémitisme permet de ne pas attaquer les élites financières en détournant cette colère sociale vers une minorité que les stéréotypes assimilent justement à l’argent et à la finance.

Or actuellement le capitalisme est en crise et ça ne manque pas, les théories conspirationnistes, l’antisémitisme, les partis d’extrême-droite, les logiques identitaires et nationalistes progressent. Michel Onfray s’intègre dans cette dynamique. Il n’est pas stricto sensu fasciste puisqu’il ne soutient pas ouvertement l’antiparlementarisme et la violence, il se revendique des Lumières même s’il en trahit en partie l’héritage, il se démarque régulièrement de l’antisémitisme et de l’antisionisme qu’il dénonce. Néanmoins le discours de Michel Onfray partage de nombreux points avec le discours fasciste et sa démarche participe à conditionner la société et les mentalités à la survenue d’une réponse authentiquement fasciste à la crise.

Historiquement le fascisme s’est imposé durant une sévère crise du capitalisme et après la première guerre mondiale, alors que les nations impérialistes étaient en concurrence. Ceci dit il puisait des racines plusieurs décennies avant ça. Notamment avec le Cercle Proudhon, l’affaire Dreyfus et le mouvement boulangiste en France mais aussi à partir de l’antisémitisme chrétien pluriséculaire.

Aujourd’hui nous sortons depuis quelques décennies d’une ère d’enrichissement des nations industrialisées. Cette ère a débuté après la deuxième guerre mondiale. On a pu parler de « Trente Glorieuses » pour la désigner en France et selon les penseurs bourgeois elle se caractérise par le plein-emploi, l’accès au confort d’une grande partie de la population, la massification de l’école qui était réservée à une élite avant ça, la consommation de masse et, en conséquence de tout ça, la formation d’une grande classe moyenne séparant une petite quantité de riches et une petite quantité de pauvres.

Cette ère était en fait due au fait que les capitalistes avaient trouvé de nouveaux marchés, de nouveaux débouchés, notamment avec l’industrialisation de l’Asie ou de l’Amérique latine. Ils ont pu accumuler du capital et en s’enrichissant ils ont pu aussi rémunérer mieux les prolétaires. Mais cette période est révolue désormais. Les capitalistes continuent à s’enrichir mais pour ce faire ils doivent exploiter davantage les prolétaires puisqu’ils trouvent de moins en moins de débouchés.

Les écarts de revenus entre les riches et les pauvres augmentent, les droits des travailleurs sont détricotés, les capitalistes produisent trop, plus qu’ils ne peuvent revendre… C’est en somme une nouvelle crise qui est en train de se produire.

Rien d’étonnant à ce qu’en réponse à cette nouvelle crise se développe à nouveau une forme de fascisme. Ceci se manifeste par l’accès à des postes de pouvoir de partis populistes d’extrême-droite que ce soit Trump aux Etats-Unis ou Bolsonaro au Brésil, le mouvement 5 étoiles en Italie ou bien la progression des groupuscules fascistes, la Casapound en Italie, Aube Dorée en Grèce… On peut aussi citer le changement de discours de Marine Le Pen qui se veut de plus en plus critique du « néo-libéralisme ». Toujours en France, nous avons eu la Manif pour tous qui a rassemblé de nombreuses personnes autour de mots d’ordre réactionnaires ou encore l’affaire Dieudonné ainsi que le parti d’Alain Soral qui témoignent de la montée de l’antisémitisme.
Onfray, avec son initiative de revue pour les souverainistes « de droite, de gauche, d’ailleurs et de nulle part » s’inscrit dans cette dynamique en tentant de la fédérer autour d’un projet acceptable, sans l’antisémitisme et le racisme de Soral, sans sa vulgarité et son attitude de coq (ce que lui reproche notamment le site Egalité et réconciliation5).

Je connaissais déjà plusieurs autres personnalités française qui participent du même mouvement fascisant, pour en citer quelques unes : Asselineau et son parti l’UPR, Etienne Chouard, Alain Soral, Dieudonné, le Raptor Dissident, Greg Toussaint, El Rayan, Serge Ayoub sans oublier la famille Le Pen et Philippot… Au final, tous leurs procédés rhétoriques et leurs positions politiques convergent d’ailleurs ces personnalités se sont quasiment toutes au moins lues les unes les autres sinon carrément côtoyées. Du coup j’avais une bonne base pour analyser les discours de Michel Onfray. Voyons donc comment sa position peut être renvoyée au fascisme.

I – Ni droite, ni gauche

Premièrement la posture ni droite / ni gauche mais pour le peuple. Michel Onfray le dit et le répète à qui veut l’entendre sa revue s’adresse « aux souverainistes de droite, de gauche, d’ailleurs et de nulle part ».
On est ici très précisément dans l’idée selon laquelle les clivages droite / gauche seraient artificiels. Soit qu’ils divisent « le peuple » alors que celui-ci devrait s’unir, soit qu’en réalité droite et gauche mènent la même politique (néolibérale justement) – ce qui est un argument classique du Rassemblement National. Il a d’ailleurs été souvent souligné dans les médias que de nombreux partis qui étaient habituellement assimilés à l’extrême-droite se sont mis à se revendiquer « anti-système ». Ce fut entre autres le cas de Le Pen ou de Trump.

Le lien avec le fascisme est que lui-même est présenté par ses adhérents comme une troisième voie (d’ailleurs un groupuscule néo-nazi français conduit par Serge Ayoub porte précisément le nom de « Troisième Voie »). Troisième voie signifie ni communisme, ni libéralisme.

Onfray reprend cette antienne ni-ni en considérant qu’il n’existe que deux véritables camps :

  • les populistes, forcément souverainistes, qui défendent les intérêts du peuple
  • et les « populicides » qui défendent l’« Europe maastrichtienne ».

Quel que soit le camp, on y trouve tant des gens de gauche que des gens de droite mais aussi des gens ne se retrouvant ni dans l’une, ni dans l’autre.

II – Populisme


Cette posture ni droite / ni gauche est typiquement populiste et Michel Onfray ne s’en cache pas. Il explique dans sa discussion avec Zemmour qu’il entend réhabiliter le terme « populisme » qui aurait été sali. Il oppose ainsi les « populistes », qui seraient favorable au « peuple » , aux « populicides » qui mènent des politiques contraires aux intérêts du peuple. Le terme « populicide » est fort car il signifie littéralement « mise à mort du peuple », les politiciens du « populicide » (Macron en tête) seraient donc responsables du décès des peuples. Encore faut-il savoir ce qu’Onfray entend par « peuple » pour comprendre en quoi consiste sa « mort ».

Interrogé par Yann Moix dans l’émission « On n’est pas couché »6 plusieurs années avant la fondation de son « Front Populaire » Onfray définissait alors le « peuple » par « l’ensemble des personnes sur qui s’exerce le pouvoir et qui n’en ont aucun. ». Ce qui est une définition complètement creuse. Mais cette imprécision sert en réalité à brasser large, il peut admettre n’importe qui dans son « peuple » de façon opportuniste.

C’est pourquoi il travaille avec des banquiers et des fiscalistes qui vivent sans doute confortablement et qu’il considère comme faisant partie du « peuple »7. Il lui suffit, a priori, de trouver une institution ou un individu pour exercer du pouvoir sur eux, ce qui n’est pas très compliqué. Rien que dire que l’Etat fait payer des impôts et décrète les lois pourrait convenir.
La plupart des collaborateurs à la revue Front Populaire sont aussi très loin du bas de l’échelle. Jacques Sapir est économiste hétérodoxe, Idriss Aberkane un prétendu spécialiste en gestion des risques qui tient notamment une chaîne youtube et Didier Raoult un médecin prenant certaines libertés avec les protocoles.

C’est pourquoi Michel Onfray et la plupart des souverainistes adoptent une position victimaires8, prétendent être censurés ou calomniés dans les médias dits « dominants ». De la sorte, ils sous-entendent qu’un pouvoir s’exerce sur eux, qu’ils ne font pas partie des institutions dominantes, et voilà comment, dans un tour de passe-passe, des gens vivant très confortablement en viennent à faire partie du « peuple ».

Il faut aussi noter que le terme « peuple » permet de se démarquer du « prolétariat » de Marx. Michel Onfray étant particulièrement hostile au marxisme comme on le verra plus loin. Le prolétariat chez Marx c’est la classe qui est obligée de travailler pour toucher de l’argent car elle n’a rien d’autre à vendre que sa force de travail. Elle est exploitée par les capitalistes qui, eux, possèdent des moyens de production et donc toutes les marchandises qui sont fabriquées avec. Les capitalistes ont donc bien d’autres marchandises à vendre que leur force de travail. Certains marxistes peuvent utiliser le mot « peuple » pour parler du prolétariat, ceci dit ce n’est évidemment pas dans ce sens qu’Onfray.

En principe le populisme c’est simplement le fait de prétendre que le Bien est toujours du côté du « peuple » et que le Mal est ce qui ne va pas dans son sens. Par exemple en défendant l’authenticité ou la sagesse populaire intuitive, ce que fait par exemple Onfray en parlant d’un « génie du peuple ». Le populisme n’est pas spécifique du fascisme, mais il prend dans celui-ci une dimension particulière en tant que le « peuple » est assimilé à une communauté ethnique et nationale. Et quelle que soit la définition qu’il ait pu donner à Yann Moix force est de constater que si Onfray estime que le peuple a intérêt au souverainisme, c’est qu’il le définit avant tout par son identité nationale. Ainsi que par la culture et l’idéologie liée à cette identité nationale dans ses fantasmes.

III – Souverainisme

Dans l’échange de cordialité qu’il a eu avec Zemmour, Onfray attaque directement son propos par une défense étymologique du souverainisme. Voici en substance son raisonnement :
Il explique qu’étymologiquement être souverain signifie être autonome, prendre les décisions pour soi et que l’opposé c’est être « esclave ». Ainsi en s’attaquant au souverainisme les « progressistes » vanteraient le fait d’être esclave. Remarquons au passage qu’en dénonçant les « progressistes » Onfray reconnaît être « conservateur ».


Onfray divise donc le monde entre souverains et esclaves mais il ne parle pas de leur relation mutuelle. C’est déjà intéressant parce que les esclaves ne sont pas esclaves en soi, ils sont les esclaves des souverains. Donc quand Onfray dit d’être souverain il dit en substance qu’on devrait avoir des esclaves. Même si on acceptait son raisonnement simpliste qui divise le monde en esclaves et souverains le parti du révolutionnaire serait de renverser la relation souverain / esclave plutôt que de choisir son camp.


Mais quittons ce débat de dictionnaire pour rentrer dans les questions politiques. Quand on parle de souveraineté il y a deux sens possibles : la souveraineté nationale et la souveraineté populaire. Évidemment les souverainistes font comme s’il s’agissait d’une seule et même chose et parlent indistinctement de souveraineté.

Or, si l’on écoute Michel Onfray, l’ennemi de la souveraineté c’est avant tout l’Europe « maastrichtienne » (telle qu’il l’appelle). C’est-à-dire l’Europe issue du traité de Maastricht, on pourrait dire l’Union Européenne pour simplifier. Il n’y a pas de mystère donc, ce dont parle ici Michel Onfray c’est de souveraineté nationale.
Sauf que la nation n’est pas le peuple. Ce n’est pas parce que l’État français recouvre plus de pouvoir que le peuple français maîtrisera mieux son destin. Son argument, qui se fait passer pour républicain, est que les représentants de l’État français sont élus (ce n’est pas vrai pour tous, les préfets comme la plupart des hauts fonctionnaires ne sont pas élus mais nommés) au contraire le fonctionnement de l’UE serait antidémocratique « populicide » dit Onfray. Certains représentants européens sont élus (les membres du parlement européen) sauf qu’ici les souverainistes expliquent que ces élus n’ont quasiment aucun pouvoir – ce qui n’est pas faux.

Cette rhétorique pourrait étonner venant de quelqu’un revendiquant des accointances avec l’anarchisme. Pour les anarchistes, quand bien même les représentants sont élus, c’est eux qui sont au pouvoir, pas le peuple. D’ailleurs, le traité de Maastricht a été signé par des représentants élus, Macron, l’archétype du populicide selon Onfray, a été élu, etc… Les élus ne sont pas le peuple dans son ensemble, si les élus ont plus de pouvoir ça ne signifie nullement que le peuple en aura plus lui-même. C’est ici la grosse arnaque du souverainisme. Que l’instrument de la bourgeoisie soit français (état) ou international (UE) c’est toujours le prolétariat qui est exploité.

Et pour résoudre cette incohérence il n’y a pas 4 chemins, il faut démontrer que c’est le système de la démocratie représentative lui-même qui est pour ainsi dire « truqué ». En réalité le peuple n’a que l’illusion du choix. C’est un pas que Michel Onfray ose franchir, même si de façon détournée. Il idéalise ainsi De Gaulle, qui aurait été un authentique souverainiste, et explique que la Vème République qu’il a fondée n’avait pas du tout vocation à être employée contre les intérêts du « peuple ». Que De Gaulle, pensant que tout le monde serait aussi vertueux qu’il l’était, a eu la naïveté de croire que ses successeurs se contenteraient d’être des représentants du peuple. Que si l’opposition remportait des élections, même locales, le président de la république devrait remplacer son gouvernement par un gouvernement constitué de membres du parti victorieux. Ainsi Macron aurait dû constituer un gouvernement d’écologistes à la suite des élections municipales.

Mais les politiciens actuels étant véreux et non vertueux, le régime politique n’est plus adapté. Derrière ses apparats démocratiques, ce discours est raccord avec l’ambition du fascisme. Puisque le régime politique n’est plus adapté à cause de l’immoralité des représentants il faut le remplacer par un autre régime politique qui ne fasse aucune place aux politiciens malhonnêtes.

Pour résoudre la question « comment des élus français ont pu voter contre la volonté du peuple » Michel Onfray se trouve contraint de réviser son union nationale de façon populiste. Le peuple c’est donc tous les français sauf certains. Les grandes fortunes possédant de grandes entreprises et qui délocalisent ou paient leurs impôts à l’étranger ou bien encore les professionnels de la politique qui sont « européistes » ne sont pas vraiment français. Ces derniers sont des carriéristes assujettis aux puissances transnationales (l’UE) voir étrangères (l’Allemagne qui est vue comme la dirigeante de l’UE). Les ambitions personnelles de ces politiciens les empêchent de considérer les volontés du peuple. L’exemple qui revient incessamment sous la plume d’Onfray est celui du référendum de 2005 où les votants se sont exprimés contre l’adoption d’une constitution européenne.


Tout ce discours sur le peuple comme communauté nationale trahie par des représentants corrompus par des puissances étrangères qui ont façonné le système à leur mesure est très précisément la matrice de l’idéologie fasciste.

Si le personnel politique est corrompu alors il faut le remplacer. Pour le moment Onfray choisit la voie électorale en stipulant qu’il est prêt à présenter une liste, dans laquelle il refuse d’être histoire de ne pas pouvoir être accusé de chercher le pouvoir. Mais n’est-ce pas contradictoire de se présenter comme ostracisé tout en espérant parvenir à la tête de l’état par voie électorale ?

Car Michel Onfray joue sur sa figure d’intellectuel militant, tel un génie rejeté par l’académisme pour ses idée hétérodoxes. Il souligne régulièrement que son école de Caen a été fermée par le maire de la ville par exemple. Interviewé par Russia Today9 (le média en France lié au gouvernement russe) Michel Onfray sert une analyse paranoïaque des médias à la limite du conspirationnisme. Alors qu’on lui fait remarquer à juste titre qu’il est souvent invité, il explique que les médias seraient tenus par des milliardaires pouvant de ce fait faire dire ce qui les arrange aux journalistes bossant pour eux. En plus cette presse serait financée à l’aide de l’argent du contribuable.

Un exemple parlant de ce que pourrait devenir le souverainisme d’Onfray s’il s’enfonce dans sa posture d’ostracisé est celui de Philippot. Ancien conseiller de Marine Le Pen au Rassemblement National, qui l’a quitté pour fonder son propre parti « les Patriotes » il a organisé récemment une journée du souverainisme. « Le média pour tous » a couvert l’événement10 et a interrogé plusieurs souverainistes présents. Évidemment de façon complaisante car Vincent Lapierre, le journaliste du-dit « média pour tous », est lui-même d’extrême-droite il s’est fait notamment connaître en travaillant pour Alain Soral un polémiste s’autoproclamant « national-socialiste » et obsédé par la communauté juive. Depuis Vincent Lapierre couvre uniquement des événements d’extrême-droite qu’il présente de façon candide tout en décrivant une extrême-gauche intolérante et violente (dans une tentative de retournement de situation où les antifascistes seraient en fait les véritables fascistes parce qu’ils ne tolèrent pas que des fascistes fassent leur propagande).

Dans ce reportage Philippot appelle carrément à un putsch qui prendrai la forme d’une alliance entre « un mouvement des gilets jaunes x5 ou x10 » et un projet politique. Il appelle les gilets jaunes11 à « franchir le cap politique ». Philippot poursuit en expliquant que la « propagande », l' »argent » et les « médias » de l’« oligarchie » réduisent à néant toute possibilité de prendre le pouvoir de façon démocratique, par les élections. Philippot sous-entend là qu’il y aurait une oligarchie surpuissante et très influente qui ne pourrait être vaincue que s’ils ne suivent pas les règles du jeu.

Il a donc une longueur d’avance sur Onfray dans le fascisme, il a admis l’idée que tous les moyens sont bons tant qu’on arrive au pouvoir et qu’on destitue le personnel politique corrompu. Cependant, l’hypocrisie de son discours apparaît aussi au détour d’une phrase où il dit que cette stratégie serait gagnante parce qu' »on est majoritaires » (comprendre « les souverainistes »), mais si tel était le cas des élections suffiraient à les porter au pouvoir. S’ils ont besoin d’un putsch c’est justement qu’ils ne le sont pas. Mais comme nous l’avons dit, pour les fascistes, même en étant majoritaires le système est truqué.


Dans une autre vidéo face caméra où Philippot aborde directement l’initiative de Front Populaire de Michel Onfray12 il félicite la nature du projet (je le rappelle : « unir les souverainistes de droite, de gauche, d’ailleurs et de nulle part »). Il objecte ensuite que le problème n’est pas immédiatement Macron mais une oligarchie au-dessus de lui. Florian Philippot surenchérit là aussi dans la rhétorique fasciste ici en ciblant bien plus explicitement une élite mal définie mais étrangère et plus puissante que le président français qui ne serait qu’une marionnette.

Michel Onfray n’en appelle pas à un coup d’état comme Philippot. Pour l’instant il fait appel au « génie du peuple ». Il pense pouvoir miser sur les élections même s’il parle dans la vidéo sur la constitution européenne d’une possibilité pour le ministère de l’intérieur de truquer les votes soi-disant « bien connue ». Il ne nous dira pas laquelle pour autant.

Pour le moment Onfray s’accroche à son identité « anarchiste » et revendique l’autogestion. Il a ainsi fondé sa revue sur le modèle participatif où chacun peut proposer des contributions. Contrairement aux médias dominants elle serait « indépendante » parce que financée par les lecteurs. En réalité ce n’est pas un gage que ce qui sera dit sera moins partial. On peut aussi citer plusieurs revues gratuites et financées par les lecteurs qui déboulonneraient le Front Populaire d’Onfray, comme quoi « indépendance » financière vis-à-vis des grandes fortunes n’implique pas de se reconnaître dans le nationalisme.

C’est une bonne occasion de faire une transition vers ses influences : Proudhon en tête. De questionner cette « autogestion » et surtout de comprendre comment l’apparente défiance vis-à-vis du pouvoir n’immunise pas contre le poison fasciste.

IV – Proudhon et l’autogestion

La trajectoire partant de préoccupations sociales et d’idéaux autogestionnaires et débouchant jusqu’à l’antisémitisme n’est pas exceptionnelle. Pierre-Joseph Proudhon, qui est un des principaux auteurs dont se revendique Onfray, est un des fondateurs de l’anarchisme, en tous cas de son courant syndicaliste. Il est aujourd’hui conspué par une bonne partie de ce mouvement pour sa misogynie et son antisémitisme. Lors de sa polémique avec Marx il notera dans ses cahiers des injures antisémites ignobles à son encontre.

Or je pense que la théorie économique de Proudhon elle-même est particulièrement poreuse sinon à l’antisémitisme du moins au conspirationnisme car il ne sera pas rare que les courants s’inspirant de lui tombent dans le même travers. Ce sera le cas notamment lors de l’épisode boulangiste, un général se présentant comme ni de droite, ni de gauche, parvenant à réunir autour de sa personne un grand nombre d’électeurs de droite et d’extrême-gauche et notamment des proudhoniens.

Après le décès de Boulanger certains partisans de Proudhon s’illustreront à nouveau lors de l’affaire Dreyfus13. Pour rappelle Dreyfus était un militaire qui fut accusé d’avoir transmis des informations confidentielles à l’ennemi allemand de la France juste parce qu’il était juif.

Si l’on se fie au site web « unphilosophe » « le plus exigeant et le plus fidèle » lecteur et héritier de Proudhon serait George Sorel. Il s’agit d’un syndicaliste révolutionnaire des débuts du XIXème siècle qui inspira un cercle de réflexion à la même époque : le Cercle Proudhon. Celui-ci gravitait avant la première guerre mondiale autour de l’Action Française dont la plupart de ses membres étaient issus. D’autres venaient plutôt du syndicalisme révolutionnaire. L’Action Française est un groupuscule monarchiste fédéraliste qui à l’époque était dirigé par Charles Maurras, une référence de l’extrême-droite actuelle en particulier d’Eric Zemmour.

Mussolini lui même a fait ses armes dans le syndicalisme révolutionnaire.

Dès lors comment expliquer cette fâcheuse tendance de Proudhon et de ses héritiers de flirter avec le fascisme ? Poser cette question c’est en réalité aborder celle de la source idéologique du fascisme, c’est donc fondamental.

Pour y répondre rapidement : Proudhon tente de proposer une critique du capitalisme qui ne remette pas en cause les fondements du capitalisme. Il n’est pas défavorable à la propriété privée des moyens de production, qui est une des principales caractéristiques du capitalisme. De ce fait, il est hostile au communisme puisque le communisme passe par la socialisation des moyens de production, l’expropriation des capitalistes.
« Moi, je suis capitaliste, clame-t-il, pour le capitalisme, je pense qu’effectivement la propriété privée est tout à fait défendable. » déclare Michel Onfray en réponse à un auditeur de France Inter14. En outre, Proudhon est contre la révolution sous prétexte qu’elle amène la violence avec elle.

La raison est sans doute que, comme l’explique Marx, Proudhon est un « petit-bourgeois ». Il commence comme ouvrier typographe, ce qui signifie qu’il fait partie des ouvriers lettrés et parmi les mieux lotis. Ensuite il ouvrira son propre atelier, il deviendra donc un petit-capitaliste au sens propre. Ceci n’explique pas tout néanmoins il est logique que Proudhon ne soit pas enchanté à l’idée de se tirer une balle dans le pied en voulant éradiquer la propriété privée. Mais le plus important est sans doute que Proudhon croit au libre-arbitre et à la méritocratie, pour lui d’une certaine manière, les ouvriers sont des « esclaves », les véritables hommes libres et indépendants sont les artisans dont il fait partie15. L’émancipation selon Proudhon semble essentiellement individuelle, le collectif étant avant tout un moyen. Un homme émancipé est un homme ne subissant pas les influences d’autrui, dans la tradition libérale, l’artisan propriétaire de ses moyens de production en est un archétype.

Proudhon va donc chercher à critiquer le capitalisme tout en le sauvant sous sa forme concurrentielle. Son but est de l’améliorer et de le maintenir. Or cette tentative de demi-mesure est ce qui anime le fascisme. Le fascisme mêle à la fois une critique haineuse de certaines dimensions du capitalisme mais il n’ose jamais critiquer ce qui le fonde (la propriété privée), il oriente la révolte vers des voies de garage.

Ce que Proudhon va critiquer dans le capitalisme c’est donc la tendance qu’a la propriété à se concentrer entre les mains de quelques uns. C’est ce qu’on peut appeler la tendance au monopole. Autrement dit certaines grosses entreprises embauchent la plupart des salariés dans chaque secteur elles vendent la plupart des marchandises de ce secteur, elles peuvent racheter les autres entreprises ou les dernières machines pour produire plus vite… Beaucoup de petites entreprises ne font que vivoter à côté incapables de faire concurrence.
Cette défiance justifiée vis-à-vis des monopoles est partagée par Onfray qui taille souvent les GAFAM. Dans son interview pour le média thinkerview16 par exemple il sous-entend que les GAFAM concentrent une telle richesse dans les mains de leurs propriétaires que seule l’immortalité est un objectif suffisamment attrayant pour eux. Ils ont donc pour objectif le transhumanisme. Ils sont suffisamment puissants pour utiliser des nations afin d’atteindre ce but égoïste.

Le problème est bien évidemment que ni Proudhon, ni Onfray n’accepte l’idée que la tendance au monopole est inhérente au capitalisme. Contrairement à Marx. Ils aimeraient que le capitalisme « reste » un système de concurrence où chacun a sa chance. Où personne ne concentre de la richesse, où tout le monde possède à peu près autant et où seul le mérite permet à certains d’avoir un peu plus que les autres. Je dis « reste » entre guillemet car ça n’a jamais été le cas. Proudhon, comme Onfray, idéalisent un passé fantasmé.

Proudhon en particulier serait satisfait d’un capitalisme artisanal sur le modèle des compagnons. Il s’inspire aussi de toute la tradition dit du socialisme « utopique » comme Rabelais ou Fourier. Ces deux penseurs ont imaginé des sortes de villages où les travailleurs gèrent leur production, où la répartition est égalitaire voir où chacun fait chaque tâche sans que certains soient cantonnés à des tâches manuelles et d’autres à des tâches intellectuelles… Ceci pose les jalons de l’autogestion à proprement parler.

Suivant cette même idée Proudhon propose de soutenir la formation de coopératives ouvrières ou de banques du peuple fonctionnant comme des mutuelles, à la place d’une révolution violente qu’il a en horreur. Cela a notamment posé les bases de l’actuelle Économie Sociale et Solidaire (ESS).
Dans une entreprise classique, seuls quelques personnes sont propriétaires de l’entreprise, ce sont eux qui perçoivent le bénéfice, les travailleurs n’en touchent pas. Dans les coopératives ouvrières, idéalement, chaque travailleur est propriétaire de l’entreprise dans laquelle il travaille à hauteur de sa contribution. Chaque travailleur touche donc une part du bénéfice. De la même manière, dans les mutuelles, chaque adhérent cotise à hauteur de ses moyens et peut emprunter à taux 0 (ou un tout petit peu plus dans les faits juste de quoi payer le salaires des éventuels secrétaires gérant les dossiers). L’objectif de Proudhon à long terme n’est pas l’abolition de la propriété privée des moyens de production mais son extension à tous.

Or ceci est impossible. Onfray galère à penser de manière dialectique comme lorsqu’il omet de dire que pour être souverain il faut des gens à diriger. Là encore, ce que nous proposent Onfray et Proudhon c’est une société constituée uniquement de capitalistes sans aucun prolétaire. Mais des capitalistes n’existent que par rapport aux prolétaires, il leur faut des gens à exploiter. Il est impossible pour un capitaliste de gagner de l’argent s’il n’y a que des capitalistes. Comme l’explique très bien Engels à moult reprises dans L’anti-Dühring si la plus-value dépendait uniquement de l’initiative du capitaliste de fixer un prix plus élevé que ses frais, ce qu’il gagnerait en vendant, il reperdrait en achetant puisque les autres capitalistes feraient pareil.

Comme cette société de capitalistes est insensée évidemment ce n’est pas dans cette direction que va le monde. Et cela ne peut que frustrer Proudhon et Onfray et paver la voie au complotisme en expliquant que ce seraient les médias et les politiciens vendus aux milliardaires qui mettent des bâtons dans les roues de son projet et des petites entreprises.

En apparence on est éloigné du fascisme, mais en réalité le glissement d’une idéologie à l’autre n’est pas si surprenant même s’il est loin d’être automatique bien entendu.

Fourier lui-même a tenu des propos antisémites. Et l’un de ses disciples, amateur de Proudhon, a en partie posé les bases de l’antisémitisme moderne. Il s’agit d’Alphonse Toussenel qui dans son livre au titre évocateur : Les Juifs, rois de l’époque prétend expliquer comment des familles juives sont parvenues à s’enrichir grâce à l’usure (le prêt avec intérêt).

Premièrement, comme je l’ai déjà dit, l’analyse proudhonienne ne permet pas de comprendre comment les monopoles se forment et se maintiennent. Proudhon, comme Onfray, refusent de croire que c’est précisément la concurrence qu’ils veulent sauver qui permet la formation de monopoles. Car ces entreprises autogérées sont toujours en concurrence avec les autres entreprises du même secteur, y compris des entreprises qui ne sont pas autogérées. Ça signifie que pour avoir plus de clients il faut les attirer en ayant le meilleur rapport qualité / prix. Or pour baisser les prix il faut baisser les frais de production et souvent cela équivaut à baisser les salaires par rapport au travail fourni. Et ça, le fait que l’entreprise soit autogérée n’y change rien. C’est le propre de la concurrence. Si une entreprise refuse de jouer le jeu pour permettre à ses salariés d’avoir de meilleures conditions de travail elle prend le risque de se faire écarter par une concurrente moins charitable. Bref, la concurrence crée le monopole. Les entreprises qui exploitent le plus leurs salariés ou qui achètent leurs matières premières chez les entreprises qui exploitent le plus leurs salariés (et donc les vendent moins chères) sont celles qui auront le plus de chance de s’imposer face aux concurrentes.
Cette fatalité amène les proudhoniens à la frustration de ne pas voir leurs idéaux couronnés de succès. Certains vont alors chercher des raisons à cet échec. Des raisons qui peuvent aussi être des coupables. Ainsi cette théorie ouvre ainsi la voie au conspirationnisme. Les politiciens n’auraient aucune volonté, ils sont corrompus et les dirigeants des monopoles sont des être inhumains, égoïstes, cyniques… L’antisémitisme historique (inspiré notamment du christianisme) décrit précisément les Juifs comme des êtres sans attaches nationales, donc communautaristes. Intéressés par l’argent et le pouvoir, ils seraient des conspirateurs qui ont vendu le Christ aux romains… Là encore le glissement du conspirationnisme à l’antisémitisme, s’il n’est pas automatique, est malgré tout facile. C’est plus ou moins une voie de ce type que Hitler et son NSDAP ont suivi.

Deuxièmement, la théorie économique fasciste s’appuie largement sur le corporatisme. C’est-à-dire que chaque type de métier doit se constituer en corps défendant ses intérêts, transmettant ses savoirs-faire, etc… Or le compagnonnage est précisément une forme d’économie corporatiste. Mais pour aller plus loin, l’idée même d’autogestion théorisée par Proudhon avec ses coopératives ouvrières suggère que ce sont aux ouvriers travaillant dans une même usine de maîtriser totalement leur travail. Il s’agit de la base de l’anarcho-syndicalisme. On n’est pas loin du corporatisme qui déconnecte ces ouvriers de la société qui ne peut plus rien leur imposer.

Onfray est bien entendu d’accord avec Proudhon sur ce point. C’est ce qu’il entend lorsqu’il prétend faire appel « au génie du peuple » dans sa revue. Il faudrait, selon lui, demander aux travailleurs de chaque secteur de prendre les décisions ou au moins d’y participer pour ce qui les concerne. C’est comme si les décisions prises dans un secteur de travail ne concernent que les travailleurs du-dit secteur. Comme si le nucléaire ne concernait que les travailleurs du nucléaire. Comme si les bouchers, les abatteurs, les chasseurs étaient les mieux placés pour penser le bien-être des animaux. Comme si les habitants d’un immeuble n’étaient pas concernés par la construction s’ils n’y prennent pas part… Etc… Ce rejet de la « politique » et de la centralisation au profit de l’autonomie vire en fait en rejet de la communauté et des responsabilités mutuelles.

C’est là la différence entre l’autogestion qui se prétend libertaire parce que décentralisée et la socialisation défendue par Marx et Engels. La production ne doit pas être gérée par les seuls ouvriers de chaque secteur mais par l’ensemble de la population qui décide de façon démocratique de la direction dans laquelle elle veut que l’emmène ses efforts. D’abord les besoins sont définis collectivement et démocratiquement par tous et ensuite le travail est réparti rationnellement entre tous pour pouvoir produire de quoi combler ces besoins. Dans le communisme il n’est plus question d’entreprises distinctes.

Comme Proudhon, Onfray, est radicalement opposé à l’idée de révolution. Ils ne conçoivent pas l’évolution des sociétés comme une succession de modes de production à l’instar de Marx et Engels.

Pour n’être surtout pas assimilé au marxisme Onfray va jusqu’à dire que le capitalisme existe depuis que la rareté existe17. Ce qui, en réalité, n’a aucun sens car la rareté existe depuis qu’on sait dénombrer, donc autant dire que le capitalisme existe depuis toujours. Or si c’est le cas, comment définir le système qui s’est imposé à partir du XVème siècle en Europe ? Cette définition aberrante du capitalisme permet à Onfray de se distinguer de Marx, qui incarne selon lui toute la barbarie stalinienne. Elle l’empêche en même temps de comprendre correctement le capitalisme et il se retrouve obligé d’attribuer ses méfaits à une oligarchie.

En conclusion, on ne peut donc pas dire que c’est l’antisémitisme de Proudhon qui l’a amené à bâtir sa théorie économique. Ses propos antisémites ont été écrits dans des carnets qu’il n’a jamais publié et il ne les lie pas à sa théorie économique directement.

En revanche il est incontestable qu’à l’inverse sa théorie économique ouvre une brèche où peuvent s’engouffrer les clichés antisémites.

Onfray se refuse à l’antisémitisme, pour l’instant, mais son attachement aux thèses proudhoniennes (et son rejet de celles marxistes) le poussent à focaliser tous les maux sur une oligarchie et des puissances transnationales qui perturberaient la concurrence en corrompant les politiciens pour qu’ils votent des lois défavorables aux PME et favorables aux GAFAM.

Michel Onfray ne s’inspire pas uniquement de Proudhon. Afin d’adapter cette théorie à l’époque il va aussi s’appuyer sur toutes les idées modernes de l’extrême-droite. Il présente tout ça dans une longue interview de 2 heures 30 pour la chaîne youtube Thinkerview (qui est spécialisée dans les interviews de tous ceux qui se prétendent à contre-courant ce qui l’amène très régulièrement à interroger des fascistes et conspirationnistes). Onfray y sert une histoire idéaliste, c’est-à-dire antimatérialiste.

V – La décadence des civilisations

 

Pour justifier sa théorie économique erronée, Onfray est contraint de produire une philosophie idéaliste. L’histoire matérialiste fait tourner l’évolution des sociétés autour de l’économie, de ce que Marx appelle des « modes de production ». Les évolutions culturelles, juridiques, religieuses ou de régimes politiques ne font que suivre les évolutions techniques et économiques. Les « idées » ne sont rien d’autre que des courants matériels dans notre cerveau et elles sont produites par les conditions matérielles dans lesquelles celui-ci se construit.

L’histoire idéaliste d’Onfray en revanche prétend que l’évolution des sociétés procède d’abord d’une évolutions des idées, des valeurs, donc de la culture et que c’est seulement dans un second temps que les structures économiques sont adaptées par les humains à leurs valeurs. Dans cette vision d’Onfray les valeurs et les idées des humains changent sans que rien de matériel ne puisse expliquer leur changement. C’est pourquoi elle peut être qualifiée d’« idéaliste » : les « idées » sont à la source de tout changement. La notion fondamentale de cette histoire d’Onfray est celle de « civilisation ». Et Onfray définit les civilisations par leur culture, leurs idéologies.

Ainsi, selon lui, la civilisation occidentale est définie par la culture judéo-chrétienne. Or, Onfray explique qu’une civilisation connaît une phase ascendante, une phase d’acmé puis une phase de « décadence ». Il est d’ailleurs l’auteur d’un livre intitulé « Décadence » dans lequel il décrit la chute de la prétendue civilisation judéo-chrétienne.

Dans le cas du judéo-christianisme cette décadence aurait débuté dès le XIIIème siècle avec Thomas d’Aquin. Celui-ci a en effet participé à refondre le catholicisme à partir notamment des écrits philosophiques de la Grèce antique qui commençaient à être traduits de l’arabe, en particulier ceux d’Aristote. Thomas d’Aquin a alors été un des précurseurs de la scolastique à partir et contre laquelle se développera la science moderne et l’humanisme.

C’est ce processus de diminution de l’influence de l’Eglise et notamment de diminution de la foi qui consiste en un symptôme de décadence de la civilisation occidentale. Selon Onfray Cette décadence étant encore en cours aujourd’hui et entraîne à sa suite une cascade d’effets, notamment la dilution de l’identité collective des peuples de culture judéo-chrétienne.

En réalité cette théorie n’est en rien nouvelle elle est même tout à fait classique à l’extrême-droite. Selon l’histoire matérialiste ce qu’Onfray appelle la « culture judéo-chrétienne » est au mieux le nom de la culture, de l’idéologie et de la mythologie du mode de production féodal. Ce mode de production a été balayé par le capitalisme et son idéologie libérale en occident depuis au plus tard le 18ème siècle (malgré quelques tentatives avortées de restauration de l’ancien régime). Mais il en reste certains artefacts qui mutent et s’effacent derrière le capitalisme et sa culture.

Onfray ne raisonnant pas en terme de modes de production est incapable de lier la décadence de la culture à l’effondrement passé du mode de production féodal. Il aura même tendance à expliquer au contraire que c’est la décadence culturelle qui provoque des choix économiques différents.

Ce thème de la décadence est aussi cher aux fascistes. Pour le fascisme le libéralisme des Lumières est à l’origine de la corruption des mœurs. C’est notamment ce que l’historien du fascisme Zeev Sternhell18 rappelle dans son œuvre. L’autre mérite de cet historien est de détailler les racines françaises du fascisme alors que d’autres historiens aimeraient que la France soit immunisée contre ce poison.

Le libéralisme est présentée comme étant l’idéologie de la classe dominante par les fascistes.

Premièrement, pour les fascistes, le libéralisme affaiblit l’idée de nation en favorisant l’individu. L’individualisme correspond aussi au délitement de la famille patriarcale. Le fascisme dénonce que les droits individuels passent avant les devoirs que l’individu aurait vis-à-vis de sa famille et de sa patrie. Il valorise l’abnégation, le sacrifice de sa personne pour une Cause supérieure, morale voir spirituelle, par exemple… la « mère patrie ».

Pourtant l’individualisme est une façon de penser qui témoigne d’un progrès réel dans l’organisation de la société. C’est grâce à lui qu’un individu ne peut plus être la propriété de quelqu’un comme les esclaves l’étaient. Que les parents ne peuvent plus maltraiter un enfant impunément (encore une fois comme s’il était leur propriété) ou encore que les femmes choisissent avec qui elles veulent faire leur vie sans avoir à se plier à la volonté du père. L’individualisme c’est la même loi pour tous les individus. Même si dans la réalisation pratique il y a encore beaucoup de défauts, il s’agit d’une avancée considérable en comparaison au système des ordres féodaux où le seigneur n’a ni les mêmes droits, ni les mêmes devoirs que ses serfs.
Or sur ce point justement Michel Onfray remet en cause l’individualisme dans un article où il prend pourtant la défense de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen19. Il explique que les individus ont des droits mais aussi des devoirs, mais il le fait pour expliquer qu’aujourd’hui ce sont les droits qui priment et que chacun veut s’émanciper des devoirs. Qu’ainsi il existerait des territoires où « les lois de la république ne s’appliquent plus ». Il s’agit pour lui de dénoncer les banlieues et l’immigration arabe et musulmane (qu’il compare d’ailleurs à celle turque plus disciplinée à son goût). Il est vrai que de plus en plus de groupes d’intérêts, des « lobbies », se forment pour défendre les droits de plus en plus de catégories de citoyens différents. Cependant on ne peut pas dire que l’état soit « laxiste » comme Onfray le sous-entend. La répression policière ces dernières années me semble en témoigner.

Deuxièmement le libéralisme réduit la valeur de tout à sa valeur marchande. Même les choses sacrées comme les objets rituels des religions, certaines relations familiales, les œuvres d’art… Cette dénonciation de l’utilitarisme libéral est très répandue aujourd’hui or c’est une critique réactionnaire et les révolutionnaires doivent le clamer même si c’est paradoxal. La réduction de tout ce qui était sacré à sa valeur marchande est un progrès. Notamment car c’est une victoire de la rationalité sur l’irrationalisme. Marx l’exprime de façon très directe dans Travail salarié et Capital :

« « L’auréole disparaît en général de tous les rapports de l’ancienne société puisqu’ils sont réduits à de simples rapports d’argent.

De même, tout ce qu’on appelle les travaux supérieurs, intellectuels, artistiques, etc., ont été transformés en articles de commerce et ont par conséquent perdu leur ancien prestige. Quel grand progrès ce fut que tout le régiment de curés, de médecins, de juristes, etc., c’est-à-dire la religion, la jurisprudence, etc. n’ont plus été estimés que suivant leur valeur commerciale ! »

Là où les artistes pouvaient se considérer comme des aristocrates et dominer les autres en pensant maîtriser un langage qui les distingue des mortels, le libéralisme a réduit leurs œuvres au même niveau que toutes les productions matérielles : quelque chose de fabriqué donc de commercialisable. Là où les philosophes se gargarisaient d’avoir une activité noble le libéralisme l’a réduit a ce qu’elle est : un métier comme un autre. Là où la religion maintenait les adeptes dans l’ignorance et l’obéissance en décidant de façon arbitraire ce qui était sacré et ce qui ne l’était pas, le libéralisme a imposé la rationalité et a là encore réduit ces objets au même niveau que tous les autres : des marchandises. Ce faisant l’utilitarisme a émancipé les gens de l’emprise religieuse.

Ce phénomène a notamment été abordé par le sociologue Max Weber au début du XXème siècle parlant de « désenchantement du monde ».

Or Onfray parle exactement du même phénomène mais en terme de décadence de la civilisation judéo-chrétienne. Il en situe même le début précisément au moment de l’essor de la « rationalité » et du libéralisme. Par « rationalité » il faut comprendre la remise en cause de la théologie et de sa méthode « l’herméneutique ». Pour faire simple, l’herméneutique signifie de chercher les réponses dans les textes sacrés. Tout ce qu’il y a à savoir est dans la Bible. A l’inverse, la méthode scientifique invite à se fier à l’expérience sensible et à sa raison pour déduire la vérité de l’étude du monde réel.

Là encore pour être parfaitement juste on doit reconnaître que même d’un point de vue révolutionnaire la marchandisation de tout est quelque chose à dénoncer. Néanmoins, c’est un progrès par rapport au monde d’avant. D’une certaine manière le libéralisme a mâché le travail du communisme en désacralisant certaines activités et certains objets. Le réel problème c’est que pour ce faire le libéralisme a dû faire de ces objets des marchandises. La révolution doit parachever cette désacralisation tout en abolissant le commerce et donc les marchandises. Oui les relations humaines ne devraient pas se réduire à des échanges monétaires mais non ce n’était pas mieux avant. En prétendant l’inverse Onfray est réactionnaire puisqu’il s’attache au passé.

La différence majeure avec le fascisme historique est que Michel Onfray se pose en défenseur des Lumières là où les fascistes les attaquent. Mais ceci relève davantage de la forme que du fond puisque les Lumières lui servent de référence mais qu’il les utilise pour attaquer leur héritage.

Dans un autre registre, pour illustrer cette question de la décadence, citons Pierre Yves Rougeyron que je ne connaissais pas et qui intervient dans le reportage de Vincent Lapierre (le média pour tous) sur le rendez-vous des souverainistes organisé par le parti de Philipot « Les Patriotes ». Pierre-Yves Rougeyron se fait passer pour un simple agriculteur lambda en lutte pour la dignité et sa famille. Il utilise un registre guerrier empreint de darwinisme social qui rappelle la définition étymologique du souverainisme par Onfray opposant les « souverains » aux « esclaves ». Selon Rougeyron il ne faut pas s’écraser, pas baisser la tête devant les forces étrangères, ceux qui le font sont des merdes, des personnes méprisables et ne sont pas des « hommes ».
La thématique de la virilité est d’ailleurs très présente dans son discours : « J’ai été élevé par des hommes », « nous sommes des hommes et la France est notre mère », ne pas se battre pour elle serait renoncer à notre nature d’« hommes » pour devenir, par exemple, des « loutres intersectionnelles ».

Cette dernière expression fait directement référence au concept militant de « l’intersectionnalité des dominations ». C’est un concept développé par les sociologues et militants qui côtoient les universités. « L’intersectionnalité » est censée permettre de mieux comprendre comment s’entrecroisent de nombreux types de dominations. Concrètement c’est l’idée que quelqu’un subissant du racisme, pauvre et de sexe féminin subit 3 types de domination respectivement la domination raciste, la domination de classe et la domination sexiste. Cette personne serait donc davantage oppressée qu’une femme riche subissant le racisme ou qu’un homme pauvre et noir qui tous deux subissent deux types de domination. Le concept d’intersectionnalité est un concept individualiste, car il vise à décrire pour chaque individu les oppressions qu’il subirait, et donc libéral. De plus tous les types de domination sont assimilés de façon anhistorique dans la tradition sociologique du structuralisme, comme si toutes ces dominations étaient de même nature.

Toujours est-il qu’il s’agit de la manifestation moderne du libéralisme. Il est une tentative de concilier les luttes nées pour contrer les différentes discriminations. L’évolution de la philosophie avec l’Ecole de Francfort puis l’existentialisme de Sartre et enfin le structuralisme de Foucault ont progressivement déplacé le regard des militants de la lutte des classes au rapport à la norme et à la marginalité. Ceux qui vivaient mal subjectivement d’être mis à l’écart de la société car ils ne correspondent pas à certaines normes. Ainsi pour chaque domaine on pouvait trouver de nouvelles normes qui discriminaient de nouvelles catégories. Et à chaque fois une nouvelle lutte peut apparaître. Les principales sont bien évidemment les luttes contre le racisme, le sexisme, l’homophobie puis la LGBQIA+-phobie et même la lutte des classes a été reformulée comme « classisme »…

Mais ces luttes étaient alors conçues comme séparées les unes des autres. Chaque lutte ne prenant sens que par rapport à un système normatif. Le sexisme par rapport aux normes de genre, la LGBTQI+-phobie par rapport à l’« hétéronormativité »… Chaque lutte devant alors être menée par les « premiers concernés » c’est-à-dire par ceux qui subissent la discrimination. L’objectif étant d’éviter que la lutte soit menée par des personnes voulant se faire mousser mais sans réelles préoccupations pour les personnes marginalisées. L’intersectionnalité est un concept qui a été développé dans ce contexte afin de concilier toutes ces luttes séparées.

L’insistance sur la subjectivité et le ressenti des personnes discriminées ainsi que la compartimentation des discriminations et des luttes sont typiquement libérales. Une approche matérialisme récuse l’idée que des phénomènes sociaux puissent être séparés des autres et doivent être traités indépendamment d’une vision globale.

Sans surprise le fascisme moderne réagit à ce libéralisme moderne. Et Onfray n’y échappe pas. Il dénonce ainsi radicalement le post-structuralisme de Foucault ainsi que les philosophes Deleuze et Derrida qui ont été exportés aux états-unis sous l’appellation « French Theory » et y ont inspiré les études post-coloniale (sur les effets actuels du colonialisme et son lien avec le racisme), les études de genre (sur les rapports entre les sexes et sur la construction par la société des rôles selon le sexe) et les études queer (sur la construction du sexe lui-même et de l’orientation sexuelle)20.

Chez Onfray, cela se borne à une critique du relativisme et du libéralisme. Mais certains vont encore plus loin et glisse dans une haine irrationnelle du féminisme, de l’antiracisme et des mouvements LGBT+, etc… et défendent au contraire les valeurs traditionnelles effectivement racistes, sexistes, homophobes…

Un youtuber d’extrême-droite comme Greg Toussaint dénoncera ainsi la « tapettisation de la société ». Cette expression homophobe signifie que les français seraient de moins en moins combatifs, de moins en moins virils. C’est exactement la même rengaine que celle évoquée par Pierre-Yves Rougeyron.

Un autre youtuber d’extrême-droite, Papacito, a sorti un pseudo-livre d’histoire (il n’est pas du tout historien) sur les héros « burnés » de France. On a encore l’idée que le passé était glorieux, que les grandes figures nationales du passé étaient viriles et fières alors qu’aujourd’hui l’idéologie « néo-libérale » tente de les effacer et corrompt la jeunesse, la rendant faible et pleurnicharde.
Enfin Alain Soral, le « national-socialiste », défend complètement cette même idée. Il est passée il y a un certain temps dans l’émission « C’est mon choix » à deux reprises21 sur la question du machisme pour expliquer que chaque sexe a une place attitrée, les femmes ne doivent pas trop se faire remarquer, et les hommes doivent s’imposer et que ces rôles seraient déterminés par la « nature ». Il sort quand même l’argument délirant comme quoi l’homme est fait pour dominer parce qu’il a un pénis et peut donc pénétrer la femme alors que l’inverse est impossible. La pénétration serait donc un asservissement. Évidemment Alain Soral déplore l’influence néfaste de la théorie du genre sur la société. Les hommes se comportant de plus en plus comme il pense que des femmes devraient le faire et vice versa.

Michel Onfray ne se risque pas sur ces terrains, il sait que ça n’est plus adapté à l’époque. C’est précisément pour cette raison qu’il faut une bonne compréhension du fascisme et non se borner à dénoncer les discriminations. Car Michel Onfray garde la matrice de base du fascisme, l’antimarxisme, l’antilibéralisme et le nationalisme populiste. D’une certaine manière cela le rend d’autant plus dangereux car son proto-fascisme est plus adapté à l’époque, plus acceptable pour la plupart des prolétaires. Néanmoins il reste un point où Onfray ne peut s’empêcher d’afficher clairement des accointances d’extrême-droite c’est sur la question de l’immigration arabe et sur l’Islam.

VI – Le « grand remplacement » et la Nouvelle-Droite :

Dans son interview par la chaîne youtube Thinkerview, Onfray pose les bases de la théorie du « choc des civilisations » (à laquelle il dit explicitement adhérer). Dont la grande application actuelle en France est la thèse du « grand remplacement » selon laquelle la civilisation arabo-musulmane vient bouleverser la culture judéo-chrétienne à cause de l’immigration « massive ».

Dans son interview il cite le théoricien à l’origine de cette thèse, Renaud Camus22 en prenant soin de s’en distinguer. Pour la forme, car en réalité toute son argumentation y correspond. Renaud Camus est un intellectuel rattaché au GRECE qui est un think-tank d’extrême-droite diffusant ses idées dans la revue Élément. Une autre figure connue de ce groupe est Alain De Benoist. La principale œuvre de ce groupe a été de moderniser le racisme en oubliant la dimension génétique complètement balayée par la science au profit de ce qu’on a appelé l’« ethnodifférencialisme ». C’est-à-dire du « racisme » culturel, plus tolérable à notre époque.

La thèse du grand remplacement s’appuie tout d’abord sur l’ethno-différencialisme. C’est l’idée que sur chaque aire géographique s’est développée une culture différente. On retrouve ici le concept de civilisation d’Onfray. En Europe ce serait ainsi la civilisation de culture judéo-chrétienne tandis qu’au Maghreb c’est une civilisation de culture arabo-musulmane. Ces deux cultures différentes sont considérées comme incompatibles l’une avec l’autre. Les valeurs de chacune de ces cultures seraient soi-disant fondamentalement différentes. Ainsi on a l’esprit du « chacun chez soi et les moutons seront bien gardés ». Quelqu’un de culture arabe se sentirait forcément mal dans un pays judéo-chrétien.

La thèse du grand remplacement c’est l’idée que comme ces cultures sont incompatibles, les immigrés maghrébins arrivant en Europe ne « s’intègrent » pas. Ils n’adoptent pas les valeurs et la culture des pays d’accueil. Ils gardent leur culture d’origine. Sauf qu’ils deviennent de plus en plus nombreux si bien que leur culture entre en contradiction avec la culture judéo-chrétienne locale. Et comme la culture judéo-chrétienne est en décadence, la culture arabo-musulmane va à terme la remplacer.
Comme il le disait déjà en 2006 sur son site personnel : « « désormais l’islam place des coins dans le vieux marbre d’une Europe qui ne croit plus en elle, en ses valeurs, en ses vertus, et ce avant destruction définitive23 ».

Cette thèse a inspiré très largement les intellectuels de droite et d’extrême-droite. On peut la discerner derrière les propos de Zemmour lorsqu’il parle de colonisation pour caractériser cette immigration. Michel Onfray en est lui aussi un porte parole24.

Il y ajoute aussi la thèse selon laquelle ce grand remplacement serait carrément un plan, ou du moins la conséquence indésirable d’un plan25, de l’élite représentée par les GAFAM et les institutions commerciales internationales à leur service (UE, ONU, FMI, OMC…).

Là encore derrière cette théorie suinte le fascisme. Rappelons qu’une des thèses antisémites de Hitler c’est que les Juifs incitent à l’immigration pour provoquer le métissage des races. Et pour Hitler le métissage ne peut évidemment que faire dégénérer les races, a fortiori la race aryenne blanche puisque celle-ci est la race supérieure. Il suffit de remplacer les Juifs par les milliardaires propriétaires des multinationales et le métissage des races par le métissage des cultures et nous retombons sur l’idée du grand remplacement. Les GAFAM provoquent l’immigration, malgré eux ou de façon consciente peu importe, et cette immigration maghrébine participe à l’effondrement de la culture judéo-chrétienne car la culture arabo-musulmane y est incompatible.

Michel Onfray parle alors de « choc des civilisations » acceptant comme une fatalité l’idée que cette incompatibilité entre cultures ne pourra se régler que dans un conflit armé violent, une guerre civile voir une guerre ouverte. En réalité, avec cette thèse l’extrême-droite tente de faire accepter à la population qu’on va vers la guerre. Elle pave la voie de l’impérialisme nationaliste belliciste qui est un des moteurs du fascisme.

Ce sont en effet les frictions entre les pays impérialistes dues au manque de débouchés et de ressources et à l’effondrement du taux de profit qui pousse les bourgeoisies monopolistes à soutenir le fascisme. Celui-ci leur permet de faire d’une pierre deux coups en conduisant le pays à la guerre pour conquérir les autres nations, l’armée passe ainsi au service des intérêts de cette bourgeoisie pour lui permettre de prendre le contrôle de matières premières notamment. Deuxièmement ce parti autoritaire permet de contrôler le prolétariat au sein du pays et donc de l’exploiter davantage.

Onfray évidemment ne se dit pas favorable à la guerre, qui le fait ? Cependant, comme je l’ai dit, il y prépare la population en expliquant que les civilisations vont s’entrechoquer comme s’il s’agissait d’une fatalité. Ce faisant, objectivement et malgré lui, il fait le choix du conflit armé plutôt que celui du cosmopolitisme et de la lutte des classes.

CONCLUSION

Nous avons donc une société dirigée par une élite richissime à la tête de conglomérats monopolistiques surpuissants comme les GAFAM. Cette élite poursuit des objectifs quasiment métaphysiques comme celui de vaincre la mort par le transhumanisme ou de conquérir l’espace. Objectifs qu’elle fait passer avant les intérêts des peuples et même contre ceux-ci.
Pour y parvenir elle place des politiciens et dépossède les peuples de leur souveraineté en la diluant dans des institutions transnationales telles que l’Union Européenne maastrichtienne ou l’OTAN, le FMI, l’ONU… L’élite financière achète des médias afin de diffuser sciemment une idéologie qui légitime ses choix : le néo-libéralisme. Elle pousse même le vice jusqu’à faire payer le contribuable pour entretenir cette presse aux ordres.

Ces milliardaires défendent ainsi un individualisme forcené qui déteint sur la population tant et si bien que certaines franges refusent tout esprit d’abnégation préférant lutter pour leurs prés carrés dans un esprit communautaire. Tel est le cas du « gauchisme culturel », un sous-produit du libéralisme, qui voit des discriminations partout et crée pour chacune d’elle un lobby pour revendiquer des droits en refusant tout devoir.
Le néo-libéralisme, comme son sous-produit qu’est le gauchisme culturel, constituent la cause d’une décadence morale de la civilisation occidentale judéo-chrétienne « de race blanche » comme dirait le général de Gaulle tant admiré par Onfray.

Cette civilisation tend à être remplacée par la civilisation arabo-musulmane dont l’élite favorise l’importation en occident par une immigration massive. Cette immigration qui permet à l’élite d’avoir de la main-d’œuvre bon marché est à la fois organisée et à la fois la conséquence involontaire d’un impérialisme provoqué par ces milliardaires désirant mettre la main sur les ressources des pays pauvres.

Tout cela pose les jalons d’un choc des civilisations. Pour l’éviter il faut souder le peuple autour de son identité nationale et culturelle afin qu’il puisse retrouver sa souveraineté. Mais Onfray déclare dans son interview pour Thinkerview qu’il est un fataliste, il pense que les dés sont jetés et qu’on peut tout au mieux refuser soi-même d’être de ceux qui ont participé au désastre. Le désastre étant la substitution de la civilisation judéo-chrétienne par la civilisation arabo-musulmane.

Ce discours pourrait séduire de nombreuses personnes ayant des raisons d’être révoltées. Michel Onfray fait mine de dénoncer l’impérialisme, de critiquer les médias, les valeurs de la haute-bourgeoisie et même la délinquance ou le relativisme libéral de certains militants d’extrême-gauche… Sauf qu’il colore son analyse de conspirationnisme et propose une sortie identitaire par le nationalisme. Voilà en quoi il se situe objectivement du côté du fascisme.

Et sa revue Front Populaire marque une étape de plus dans cette démarche en tentant de donner un véritable écho à cette vision du monde et en tentant de fédérer autour de cette identité nationaliste souverainiste.

Il ne s’agit pas ici d’insister uniquement sur l’hostilité de Michel Onfray vis-à-vis de l’islam et de l’immigration maghrébine, ce qui laisserait entendre que c’est le racisme ou la xénophobie qui rattache principalement Onfray au fascisme. Comme si un Onfray arabophile serait potentiellement un allié. On peut se rappeler que les relations d’Etienne Chouard avec des personnalités authentiquement racistes ou conspirationnistes a été le seul argument des antifas alors que la grande majorité de son discours ne portait pas du tout sur les juifs ou les étrangers. D’où, me semble-t-il, la nécessité de réaffirmer une analyse conséquente de l’idéologie fasciste. Afin que moins de personnes révoltées ne soient séduites par ces rhétoriques à l’apparence contestataire. Espérons que cette modeste réflexion sur Onfray et son Front Populaire y contribuera.

Je remercie mon père, mes amis et les membres du forum Libertaire.net pour leurs relectures, leurs corrections et leurs conseils.

1« Le souverainisme français une nécessité ? », Cnews, visionnable ici : https://www.youtube.com/watch?v=Ems1rRj5NH0&feature=youtu.be

2Par exemple : Baptiste et Mathieu ROGER-LACAN, « Onfray/Zemmour, le style souverainite », le grand continent, https://legrandcontinent.eu/fr/2020/06/19/onfray-zemmour-le-style-souverainiste/

3Par exemple sur le blog de floréal, « L’amer Michel » : https://florealanar.wordpress.com/2013/02/14/lamer-michel/

Par l’ex-Alternative Libertaire : « Girouettisme : Onfray mieux d’se taire » : https://www.unioncommunistelibertaire.org/Girouettisme-Onfray-mieux-d-se-taire

4Baptiste et Mathieu ROGER-LACAN, « Onfray/Zemmour, le style souverainite », le grand continent, https://legrandcontinent.eu/fr/2020/06/19/onfray-zemmour-le-style-souverainiste/

5Notamment dans l’article « Quand Michel Onfray se prend les pieds dans le concept » où il est affirmé que Michel Onfray serait un sioniste qui attribue à la France des racines juives.

https://www.egaliteetreconciliation.fr/Quand-Michel-Onfray-se-prend-les-pieds-dans-le-concept-60203.html

Ou encore dans l’article « Michel Onfray aux Grandes Gueules démolit la gauche antiraciste » où on peut lire : « Tant pis pour Onfray et son programme, qui est tout simplement du Soral sans Soral, avec la ligne rouge bien comprise. » par ligne rouge il faut comprendre que l’auteur lui reproche de ne pas être antisémite (« antisioniste » pardon).

https://www.egaliteetreconciliation.fr/Michel-Onfray-aux-Grandes-Gueules-demolit-la-gauche-antiraciste-59670.html

6On n’est pas couché émission du 19 septembre 2015 l’extrait en question peut être regardé ici : https://www.youtube.com/watch?time_continue=2&v=wMWHDdmnao8&feature=emb_title

7LCI, « Onfray ou le nouveau front populaire », https://www.youtube.com/watch?v=DwYqJExt6QY&feature=youtu.be

8Ici Céline Pita se plaint de ce qu’on jette l’« opprobre » sur les souverainistes en les renvoyant à « l’extrême-droite », elle termine même par un refrain pathétique concernant Michel Onfray qui aurait été traîné dans la boue comme s’il n’y avait aucune raison à ça : Céline Pita, « Souverainiste, oui. D’extrême-droite, non ! », Front Populaire, https://frontpopulaire.fr/o/Content/co93361/souverainiste-oui-d-extreme-droite-non

9RT France, Interview de Michel Onfray « On est dans une situation, effectivement, de guerre civile » : https://youtu.be/LtjGk9Gpqcc

10« L’alliance des souverainistes – Les reportages de Vincent Lapierre », Le média pour tous, visionnable ici : https://www.youtube.com/watch?v=4BLjRzL8TBc&feature=youtu.be

11On ne peut pas nier qu’il y a une fascination des personnalités d’extrême-droite pour le mouvement des gilets jaunes. Mouvement qui a été médiatisé initialement pas des groupes d’extrême-droite sur les réseaux sociaux.

12« Ce que je pense de FRONT POPULAIRE de Michel ONFRAY », Florian Philippot, https://www.youtube.com/watch?v=XJdMvOzKAsQ&feature=youtu.be

13Veni Vidi Sensi #10, Le général Boulanger : premier « ni de gauche, ni de droite ? » : https://www.youtube.com/watch?v=px0dXSD1250

14Sébastien Marchal, « Girouettisme : Onfray mieux d’se taire ! », Alternative Libertaire https://www.unioncommunistelibertaire.org/Girouettisme-Onfray-mieux-d-se-taire#nh8

15Thibault Isabel, Pierre-Joseph Proudhon : un portrait politique (entretien avec Thibault Isabel), Cercle Henri Lagrange (encore un média d’extrême-droite) : https://www.youtube.com/watch?v=IltpVgUFbWc

Notez que Thibaut Isabel est un philosophe se revendiquant de Proudhon et contributeur à la revue Front Populaire. Le cercle Henri Lagrange dont j’ai pris connaissance lors de mes recherches semblent lui-même être un média plutôt orienté à l’extrême-droite, déjà parce que Henri Lagrange est un monarchiste qui a été secrétaire général de l’Action Française, proche de Maurice Barrès et membre du Cercle Proudhon.

16Michel Onfray, Où en est la France ? Michel Onfray, Thinkerview, https://www.youtube.com/watch?v=txl6l5ORhzo

17RT France, Interview de Michel Onfray « On est dans une situation, effectivement, de guerre civile » : https://youtu.be/LtjGk9Gpqcc

18Zeev Sternhell, « Interdit d’Interdire », Russia Today : https://www.youtube.com/watch?v=kyQzd2gFNhU

19Michel Onfray, « Front Populaire et Compagnie : Qui sommes-nous ? », Front Populaire https://frontpopulaire.fr/o/Content/co169206/front-populaire-et-compagnie-qui-sommes-nous

20Sur le plateau de l’émission « L’invité », TV5Monde, « Ces gens-là m’insultent parce que je leur fait peur », https://www.youtube.com/watch?v=jpRWJMUh4TY

21C’est mon choix, « Je suis macho » : https://www.youtube.com/watch?v=P2Ok7zR_Iuc

C’est mon choix, « Pour ou contre le machisme d’Alain Soral » : https://www.youtube.com/watch?v=0royTOYbIiQ

22Michel Onfray, Où en est la France ? Michel Onfray, Thinkerview, https://www.youtube.com/watch?v=txl6l5ORhzo

23Sébastien Marchal, « Girouettisme : Onfray mieux d’se taire ! », Alternative Libertaire https://www.unioncommunistelibertaire.org/Girouettisme-Onfray-mieux-d-se-taire#nh8

24Michel Onfray, Où en est la France ? Michel Onfray, Thinkerview, https://www.youtube.com/watch?v=txl6l5ORhzo

25Michel Onfray, Où en est la France ? Michel Onfray, Thinkerview, https://www.youtube.com/watch?v=txl6l5ORhzo