Connaissance et existence

Le solipsisme est une forme d’idéalisme qui prétend qu’on ne peut pas dépasser une connaissance subjective du monde. Tout ce qu’on connait du monde ne serait qu’impressions, avis, opinions. La seule chose dont on peut être sûr c’est qu’on existe. Et encore, pas sous la forme qu’on voit dans le miroir. On existe uniquement comme sujet pensant, cogito ergo sum comme dirait Descartes, je pense donc je suis. Le fait qu’on pense serait la seule chose dont on ne peut pas douter.

A cette théorie on peut répondre par l’empirisme : nous ressentons le monde extérieur. Lorsque nous marchons, nous sentons le sol sous nos pieds, ça ne dépend pas de notre opinion. Lorsque nous nous cognons l’orteil contre un coin de meuble nous avons mal, comment douter alors que le meuble existe réellement ? Qu’il n’est pas qu’une « impression subjective » ?

Le solipsisme répond sous la forme de ce qu’on appelle le constructivisme : le monde extérieur est construit par notre cerveau avant même que nous y soyons confrontés. Autrement dit notre cerveau pense qu’il aura mal avant même que l’on se cogne l’orteil. A priori le constructivisme admet malgré tout l’existence d’un monde extérieur mais réduit à néant la possibilité de le connaitre. Toute interaction que nous avons avec le monde extérieur à nous est interprétée par notre conscience. Nous en avons une image déformée. Il s’agit d’une fatalité ontologique : il nous est impossible de passer outre.

Mais pour le solipsisme le plus extrême ça peut même aller au-delà. Le monde extérieur n’existe peut-être pas du tout. Toutes nos perceptions sont construites par notre cerveau. Le meuble sur lequel je pense m’être cogné l’orteil n’existe pas, c’est mon esprit qui a inventé une image ressemblant à un meuble. Il a aussi projeté une image ressemblant à mon pied vers ce meuble. Et lorsque les deux images se sont rencontrés mon esprit a imaginer le contact entre deux surfaces, le choc et la douleur résultant. Rien de tout cela ne s’est réellement passé, mon cerveau a créé toute cette histoire.

Autrement dit : il n’existerait aucune preuve que quelque chose existe en-dehors de mon imagination.

Le constructivisme met le doigt sur une réalité : notre cerveau interprète avant, en même temps et après les sensations. Mais il extrapole cette réalité en faisant deux erreurs cruciales. La première est de considérer que cette interprétation sort de nulle part alors qu’elle est déterminée par la structure de notre cerveau (génétiquement) et par ce que nous vivons et avons vécu et qui a imprégné notre mémoire. La deuxième est de sous-estimer l’influence des sensations présentes qui ne sont pas complètement soumise à l’interprétation.

Le solipsisme met le doigt sur une seconde réalité, nous ne percevons pas le monde tel qu’il est objectivement. Par contre il fait une erreur cruciale en considérant que nous ne pouvons pas dépasser une connaissance sensible du monde. Nous ne pouvons pas encore modifier nos capacités physiques au point de développer nos sens (par exemple être capables d’entendre les ultrasons ou de voir les rayons ultraviolets). Par contre, les outils que nous avons développé sont capables de le faire et par extension nous sommes capables d’une connaissance excédant nos simples sens.

D’autre part le solipsisme fait une erreur logique pour un idéalisme : il prétend que ça a un sens de considérer que le monde peut être connu « objectivement ». C’est que, comme tout idéalisme, il ne comprend pas ce qu’exister et connaître signifient.

Exister et connaître sont les deux faces de la même pièce. Comme tout idéalisme, le solipsisme met la pensée au centre de son approche et est incapable de voir la pensée comme une propriété matérielle. Pour un solipsiste seul quelque chose qui « pense », donc un animal, peut connaître. La connaissance est incompréhensible à partir de propriétés de la matière inerte. Ceci est faux.

Exister c’est avoir un effet, connaître c’est avant tout ressentir un effet. Or pour ressentir l’effet d’un objet il faut partager avec lui les propriétés qui lui permettent d’avoir cet effet. Donc soi-même avoir un effet par conséquent. De façon très simple : pour ressentir et donc connaitre l’attraction électrique il faut que l’objet qui nous attire ait une charge (= sa propriété) mais il faut que nous aussi nous ayons une charge, donc, en l’occurrence, nous l’attirons aussi. Pour connaitre la gravité il faut que nous ayons une masse et que l’objet qui nous « attire » ait une masse aussi.

Un objet qui n’a aucun effet n’existe pas. Exister c’est avoir un effet. Fondamentalement, en science, nous ne percevons pas des objets, nous percevons les effets de ces objets. Nous percevons leurs effets sur nos sens ou sur nos instruments de mesure. Toute connaissance correspond donc à un transfert d’énergie.

La pensée ne fonctionne pas différemment. Lorsque nous voyons un objet c’est que notre œil reçoit des photons provenant de cet objet. Les photons sont des particules énergétiques, des particules de lumière. Cependant, dans le cas d’organisme tels que nous ce phénomène d’échange énergétique est beaucoup plus complexe. L’énergie est convertie en diverse forme complexe. Notre œil reçoit un photon et émet un signal électrique par voie nerveuse jusqu’à notre cerveau. Ce signal électrique prend lui aussi plusieurs formes : à l’intérieur du neurone il correspond à un flux d’électron, entre deux neurones différents, au niveau de la synapse, il correspond à un échange chimique d’ions. Les ions sont des molécules chargées, une molécule est un ensemble d’atomes et les atomes sont constitués de protons et d’électrons, une molécule est plusieurs millions de fois plus grosse qu’un électron, c’est dire à quel point le signal change de nature.

Tout ceci est important pour montrer la force du matérialisme. La matière et l’énergie sont la même chose, c’est ce qu’enseigne la célèbre formule d’Einstein E = mc². L’énergie (en joules) égale la masse (en kilogrammes) multipliée par environ 300 millions (vitesse de la lumière en mètres par seconde). La matière communique avec elle même en échangeant de l’énergie sous diverses formes. Aucune matière n’a aucun effet. Ce qui se présente à nos sens et à nos instruments de mesure c’est avant tout les effets de la matière, c’est-à-dire de l’énergie émis par un objet matériel. Or on ne peut démontrer l’existence que de ce qui a un effet soit sur nos sens, soit sur nos instruments de mesure. Donc tout ce qui existe est forcément quelque chose qui émet de l’énergie et ce qui l’émet. Comme l’énergie et la matière sont une seule et même chose sous deux formes différentes, tout ce qui existe est matière.

Nos sens et notre conscience ne perçoivent pas toutes les formes d’énergie qui existent. Celles-ci doivent être suffisamment intenses et correspondre à nos récepteurs.